« C’est dur à comprendre un geste d’une telle violence pour un geste aussi banal… », lâche Guillaume Jean. Son frère Philippe luttait toujours pour sa vie lundi soir. Le père de cinq enfants a été heurté par un chauffard samedi, simplement pour avoir fait appliquer les mesures de distanciation dans un commerce de Sherbrooke.

Guillaume Jean est retourné sur les lieux du drame lundi matin pour nettoyer la flaque de sang souillant toujours l’asphalte du stationnement du Wal-Mart. « C’est mon frère. C’est mon frère… Je ne veux pas que ça reste là. On ne pilera pas sur le sang de mon frère, comme si c’était une canne de jus tombée ! », lance-t-il.

L’inexplicable agression a choqué les Québécois. L’agent de sécurité de 35 ans est intervenu samedi auprès d’un client qui voulait entrer au Wal-Mart avec sa conjointe. Or, ce dernier a visiblement mal digéré le règlement qui ne permet qu’un client par famille dans le magasin.

Nacime Kouddar a alors foncé directement sur Philippe Jean avec son véhicule, le traînant sur son capot sur plusieurs mètres. Le chauffard a ensuite manœuvré pour faire tomber sa victime au sol, selon les policiers. Gravement blessé à la tête, Philippe Jean repose depuis dans un état critique.

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Nacime Kouddar

L’accusé de 25 ans, sans antécédent judiciaire, a comparu lundi après-midi pour faire face à des accusations d’agression armée avec un véhicule, de voies de faits graves et de délit de fuite. Aucun chef de tentative de meurtre n’a toujours été déposé pour le moment. Pour ce faire, les enquêteurs devront établir qu’il avait l’intention spécifique de tuer la victime.

« Il voulait aider pendant la crise »

Père de cinq jeunes enfants, Philippe Jean vient d’une famille tissée serrée de Sherbrooke. Avant la pandémie, les sept membres de la fratrie et leurs 14 enfants dînaient régulièrement avec les grands-parents. Malgré la tempête, ils se tiennent les coudes – à distance – et restent positifs. « On essaie de ne pas laisser la colère nous surmonter. On ne peut se permettre ça avec les enfants », soutient Guillaume Jean.

Philippe Jean travaillait seulement depuis une semaine comme agent de sécurité. Il étudiait pour devenir entrepreneur général, mais lorsque ses cours ont été annulés, il a décidé de se trouver un second emploi. Travailleur infatigable, il installait des plexiglas la nuit pour protéger les caissières des commerces.

« Mon frère, c’est un cœur sur deux pattes. Il est toujours en train d’aider. Toujours, toujours », insiste Guillaume Jean. « Des fois, on lui disait, c’est peut-être un peu trop ! », ajoute-t-il, au bout du fil.

« C’est un homme merveilleux ! Il est très travaillant et toujours prêt à aider tout le monde », soutient sa sœur Mylène Jean. Elle aussi n’arrive pas à comprendre que l’agresseur ait posé un geste aussi violent. « Mon frère, on ne peut que l’aimer », résume-t-elle.

Tout le clan Jean est estomaqué par la vague d’amour à l’endroit de leur frère. Depuis samedi, ils reçoivent des dizaines de témoignages de la générosité de Philippe. Une collecte de fonds démarré par un autre agent de sécurité avait déjà amassé plus de 100 000 $ lundi. Une initiative similaire auprès de ses amis américains avait également obtenu des centaines de dons.

« Les gens sont généreux, on n’en revient pas ! », se réjouit Guillaume Jean. « C’est inestimable une aide comme ça. On ne sait pas dans quel état mon frère va sortir de cette situation. Est-ce que ça va prendre des semaines, des mois, on ne sait pas. Cette aide, c’est un peu le reflet de mon frère. Il a toujours aidé tout le monde », confie-t-il.

L’agression a semé la stupeur au sein de la compagnie Titan Sécurité. « Il n’y avait aucun moyen de prédire qu’une action aussi extrême serait faite. […] Ce qui est était demandé est pourtant de commune mesure. Il n’y avait rien d’extraordinaire. Mais pour des raisons encore sous enquête, ce monsieur a perdu la boule », explique le vice-président senior Michel Juneau-Katsuya, qui demeure en contact direct avec la famille.

Guillaume Jean déplore que les caissières, commis d’épicerie et agents de sécurité doivent essuyer des pluies d’insultes depuis le début de la crise. Il espère que ce drame rappellera à cette minorité de citoyens de respecter les travailleurs au front. « Ils n’ont pas le choix de faire leur travail. Respectons-les », tranche-t-il.