Toute la planète cherche des masques N95, ces masques dont personne hors du personnel soignant ne connaissait le nom jusqu’à tout récemment.

Désormais, on sait tout du masque N95 hyper protecteur, la Ferrari de la gamme des masques utilisés dans le réseau de la santé.

On sait que les N95 filtrent 95 % des particules de 0,3 micromètre et plus. Les gouttelettes qui propagent la COVID-19 quand on parle, quand on tousse et quand on éternue font généralement 5 micromètres, soit 0,0005 centimètre.

On sait aussi qu’au Québec, à propos de la réserve de N95, il y a un décalage entre l’optimisme prudent du trio santé Arruda-Legault-McCann – optimisme qu’il a d’ailleurs modéré mardi en admettant que certains équipements pourraient manquer d’ici trois à sept jours – et ce qu’on entend sur le terrain de la part de soignants inquiets.

Une urgentologue m’écrit : « La ministre McCann a beau vouloir rassurer la population dans les points de presse, sur le terrain, il nous manque de N95. »

Il est évident qu’il y a rationnement des N95, pour faire face à un pic d’hospitalisations de malades de la COVID-19 dans les hôpitaux québécois et parce que les commandes tardent à être livrées… Parce que toute la planète veut des N95.

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Toute la planète cherche donc des masques N95, les meilleurs pour protéger nos soignants. Le monde manque de masques N95. Il y a des espoirs de nettoyage et de recyclage de masques N95. Il y a des efforts ingénieux pour limiter l’utilisation de masques

Mais savez-vous combien coûte un N95, d’ordinaire ?

Tenez-vous bien…

1,25 $ US.

C’était le prix unitaire il y a six semaines, selon un distributeur cité par Bloomberg. Pandémie oblige et capitalisme de prédation oblige, c’est rendu six fois plus cher, au minimum.

PHOTO MIKE SEGAR, REUTERS

Le masque N95, fabriqué notamment par le géant 3M, coûte d’ordinaire 1,25 $ US.

Le géant 3M n’est pas la seule entreprise à fabriquer des N95, mais c’est la plus connue. À propos de ces hausses de prix, 3M s’est défendue : nous n’avons pas augmenté nos prix, ce sont les distributeurs qui ont augmenté leurs prix, nous, on n’y peut rien…

Bullshit, a tonné le milliardaire américain Mark Cuban, notamment propriétaire des Mavericks de Dallas dans la NBA, dans ce même article de Bloomberg : « Pourquoi est-ce que 3M ne prend pas le téléphone pour ordonner à ses distributeurs de vendre leurs inventaires aux hôpitaux, sous peine de ne plus jamais pouvoir acheter de N95 à 3M ? »

La médecin dont je parlais plus haut, encore : « Quand j’imagine que des N95 prêts à être utilisés “dorment” dans des entrepôts en attendant l’offre la plus alléchante pour le revendeur, j’ai envie de vomir. »

C’est fou, quand on y pense : l’objet le plus recherché sur Terre présentement, un masque dont la valeur est inestimable, vaut en temps normal 1,25 $ US.

Le prix d’une Caramilk.

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Je pense souvent au monde d’après, je vous l’ai dit. Au monde d’après la pandémie. Comment cette épreuve va-t-elle nous changer comme individus, comme sociétés, comme États ? Je n’ai aucune certitude. Ça va sans doute dépendre de la durée de l’épreuve autant que du bilan des morts.

Mais quand je pense à la pandémie, je pense souvent au 11 septembre 2001, l’autre traumatisme générationnel dont nous sommes les contemporains. Le 12 septembre 2001, nous savions que nous allions changer. Restait à voir comment.

Post-septembre 2001, nous avons vu les signaux manqués, les moments où les attentats auraient pu être déjoués. C’est évidemment toujours plus facile, après. Plus facile de voir l’appel au FBI qui n’a pas fait l’objet d’un suivi, le manque de collaboration entre les agences de renseignements, tout ça…

En pleine pandémie, c’est la même chose. C’est évidemment plus facile de regarder dans le rétroviseur et de se dire : on aurait dû savoir !

Il y a Bill Gates qui prêchait dans le désert dès 2015 sur les risques d’une pandémie dans une conférence TED. Le gouvernement américain sait depuis des années que les États-Unis manquent de respirateurs artificiels et d’équipement médical crucial.

Post-11-Septembre, nous avons repensé à cette aberration : le cockpit de l’avion à découvert pendant les vols ! La porte de ce cockpit non verrouillée était le talon d’Achille de la sécurité aérienne…

La pénurie de masques N95, d’équipement médical de protection et de respirateurs artificiels en 2020, c’est la porte ouverte des cockpits d’avion en 2001.

On regarde dans le rétroviseur de l’Histoire, on voit les occasions ratées pour se préparer à une pandémie et on se gratte la tête : mais comment avons-nous pu être si insouciants, si négligents ?

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Un peu partout, même au Québec, des équipes soignantes se fabriquent de l’équipement de protection de fortune. Le trio santé a abordé la question, mardi, en conférence de presse.

Aux États-Unis, des photos stupéfiantes circulent : des soignants équipés de… sacs poubelles. Des infirmières new-yorkaises se fabriquent des blouses de fortune avec des sacs Glad.

Les États-Unis ne sont bien sûr pas le seul pays à avoir mal anticipé la menace pandémique. Mais il y a un symbole quand même avec ce pays en particulier, un symbole pour le manque d’anticipation de tous les États qui avaient les moyens d’anticiper…

Les États-Unis d’Amérique, ce pays si ingénieux, ce pays si puissant, ce pays si dominant en science et en technologie, ce pays si… riche. Le pays le plus riche de toute l’histoire de l’humanité, en fait.

Le pays qui a les moyens de se constituer un arsenal militaire capable de mener trois guerres mondiales dans la même décennie, s’il le souhaite…

Le pays qui a développé le chasseur ultramoderne F35 nouvelle génération, au coût d’un billion de dollars, 1000 milliards.

Prix unitaire du F35 : 87 millions US. Coût d’une heure de vol du F35 : 30 000 $ US.

Combien coûte un sac Glad, à l’unité ?