(Ottawa) L’administration Trump aurait abandonné son projet de déployer des troupes à la frontière avec le Canada, selon ce que rapportait jeudi soir le Wall Street Journal sur la foi d’informations émanant d’un responsable américain.

En début de journée, le premier ministre Justin Trudeau avait confirmé qu’un tel plan était dans les cartons, qu’il voyait cela d’un bien mauvais œil, et que des négociations étaient en cours afin de convaincre l’administration Trump de faire marche arrière. En coulisses, au gouvernement, on peinait à comprendre les motifs derrière la stratégie.

« Le Canada et les États-Unis ont la frontière non militarisée la plus longue au monde et c’est dans l’intérêt des deux pays de la garder comme ça. Nous sommes en discussion avec les États-Unis sur cet enjeu », a-t-il exposé lors de son point de presse quotidien, au pas de la porte de sa demeure de Rideau Cottage.

Selon des informations d’abord rendues publiques par le réseau Global News, jeudi, Washington a envisagé l’envoi de centaines de militaires à 30 km de la frontière afin d’empêcher des gens d’entrer aux États-Unis en passant entre les points d’entrée officiels et risquer de propager la COVID-19 en territoire américain.

La vice-première ministre Chrystia Freeland, qui d’habitude met ses gants blancs quand vient le temps de commenter les enjeux au sud de la frontière, a fait preuve de fermeté, jeudi. Opter pour la militarisation, une option dont elle a appris l’existence « il y a un ou deux jours », serait « totalement inutile », et le Canada y verrait un geste « dommageable » pour les « très cordiales relations » avec son voisin.

En conférence de presse avec certains de ses collègues de cabinet, elle a plusieurs fois fait valoir que le scénario demeurait hypothétique, et que chaque pays souverain avait le pouvoir d’assurer la protection de sa frontière. N’empêche, en coulisses, on ne saisit pas exactement ce qui est à l’origine de la velléité américaine. « On cherche la logique. Il n’y a presque aucun migrant irrégulier qui va du Canada aux États-Unis », a confié à La Presse une source qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement.

Quelques heures plus tard, à la Maison-Blanche, le président Donald Trump a répondu ceci à à un journaliste qui lui demandait de faire le point: « Nous avons des déploiements très imposants à la frontière sud, au Mexique, et nous avons des troupes au Canada. Mais je vais m’informer. J’imagine que c’est une façon de s’assurer d’une justice équitable, en quelque sorte », a-t-il soutenu en conférence de presse.

Mais il a semblé confondre les enjeux. Au lieu de parler de la COVID-19 dans sa réponse, il a discouru au sujet des tarifs qui ont été imposés sur l’acier, lesquels ne sont par ailleurs plus en vigueur pour le Canada.

C’est au sud de la frontière que la propagation du nouveau coronavirus est davantage de nature à susciter des inquiétudes. Les États-Unis sont désormais au premier rang des pays les plus affectés par le nouveau coronavirus, ayant supplanté jeudi l’Italie ainsi que la Chine.

Frontière: Ottawa n’écarte pas des « ajustements »

La façon dont le locataire de la Maison-Blanche gère la crise est de nature à susciter des préoccupations sur les mouvements transfrontaliers. Le fait qu’il a manifesté l’intention de mettre fin aux mesures de confinement d’ici le dimanche de Pâques afin que les Américains puissent se masser dans les églises a notamment beaucoup fait réagir.

Le gouvernement Trudeau se dit prêt à resserrer les mesures de contrôle à la frontière canado-américaine implantées le 21 mars dernier. En vertu de l’accord, il est interdit de franchir la frontière, sauf pour des raisons essentielles. Le maintien du commerce entre les deux pays était un enjeu clé dans la conclusion de cette entente.

« Nous allons continuer à travailler avec l’administration américaine pour […] garder notre pays en sécurité et les Canadiens en sécurité. Nous continuerons à faire des ajustements au fur et à mesure que les choses évoluent », a signalé le premier ministre.

« Si vous refusez de suivre les instructions [de la Loi sur la mise en quarantaine], vous pourriez recevoir une grosse amende ou même écoper d’une peine de prison. On a tous un rôle à jouer pour freiner la propagation du virus. Ce qu’on vous demande, c’est pas compliqué », a-t-il affirmé.

« Ça fait des semaines qu’on le répète, mais certains ne semblent pas prendre nos recommandations au sérieux. C’est non seulement décevant; c’est dangereux », s’est désolé le premier ministre.

Les voyageurs qui reviennent de l’étranger, incluant les snowbirds qui rentrent de leur migration annuelle aux États-Unis, doivent désormais obligatoirement s’isoler pendant deux semaines en vertu de l’adoption d’un décret gouvernemental. Cette contrainte s’applique à tous ceux qui arrivent au Canada d’un déplacement « non essentiel », qu’ils aient ou pas des symptômes de la COVID-19.

« Le gouvernement du Canada utilisera les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur la mise en quarantaine pour veiller à sa mise en application. Le défaut de se conformer à ce décret constitue une infraction à la Loi sur la mise en quarantaine », avertit-on dans un communiqué daté de mercredi.

Les peines maximales prévues comprennent une amende pouvant atteindre 750 000 $ ou une peine d’emprisonnement de six mois ; quiconque contrevient « intentionnellement ou par insouciance » à la loi, « expose autrui à un danger imminent de mort ou de blessures graves encourt une amende maximale de 1 million de dollars et un emprisonnement maximal de trois ans », précise la même déclaration.

En vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, qui avait été modifiée en 2005 dans la foulée de la crise du SRAS, la ministre fédérale de la Santé peut imposer établir des postes de quarantaine partout au pays.

Les banques appelées à faire leur part

Alors que tous doivent mettre l’épaule à la roue pour éviter que la crise ne plonge les Canadiens dans des situations financières trop ardues, les compagnies de carte de crédit devraient elles aussi faire leur part, a suggéré Justin Trudeau.

« Tout à fait; c’est une conversation qu’on est en train d’avoir avec les grandes banques au Canada », a-t-il répondu lorsqu’un journaliste lui a demandé si celles-ci devraient accorder une période de grâce aux Canadiens qui doivent toujours s’acquitter des taux d’intérêt faramineux associés à leur compte de carte de crédit.

Le premier ministre a spécifié que son ministre des Finances, Bill Morneau, a entamé des discussions à ce sujet. « On est en train de les encourager à prendre des mesures comme ça », a-t-il assuré. Quant au gouvernement, il tente de trouver des façons de permettre aux Canadiens d’avoir accès plus facilement au crédit à un coût moins élevé que celui des cartes de crédit.

Trudeau toujours en isolement

Le point de presse de Justin Trudeau s’est tenu devant sa résidence de Rideau Cottage, jeudi, et ce, même s’il a dépassé le cap de la période de 14 jours de l’isolement auquel il s’était astreint à compter du jeudi 12 mars dernier puisque sa femme Sophie a contracté le nouveau coronavirus.

Lorsqu’un journaliste lui a demandé, mercredi, quand il en sortirait, le premier ministre a répondu que ses enfants et lui n’avaient toujours pas de symptômes, que sa femme se sentait beaucoup mieux, et que tous continuent à « suivre toutes les recommandations des experts en santé ».

À son bureau, en ce jour 15 d’isolement, jeudi, on a offert la même réponse.

Attention aux « arnaques »

Le premier ministre a d’autre part prévenu que des textos frauduleux circulent concernant les prestations que le gouvernement fédéral offrira aux Canadiens dont le gagne-pain est affecté par la crise de la COVID-19. « C’est une arnaque », a-t-il tranché, invitant les Canadiens à se fier aux sites web gouvernementaux.

Ottawa a annoncé mercredi l’entrée en vigueur prochaine de la Prestation canadienne d’urgence. Vers la mi-avril, tous les Canadiens, qu’ils aient accès ou non à l’assurance-emploi, pourront toucher 2000 $ pendant quatre mois. Les demandes se feront en ligne via un portail web qui devrait être prêt aux alentours du 6 avril.