Depuis le début de la crise liée à la COVID-19, les centres de prévention du suicide et de services d’aide professionnelle sont plus sollicités qu’à l’habitude. Et ils prévoient que la demande augmentera considérablement dans les jours et semaines à venir. « Il faut s’attendre à un haut niveau de détresse psychologique », prévient la psychologue Rose-Marie Charest.

« Je ne mentirai pas, il y a un nombre élevé d’appels de gens qui se sentent anxieux par rapport au coronavirus », explique Lynda Poirier, directrice générale du Centre de prévention du suicide de Québec (CPSQ).

Elle observe des « pics d’appels » depuis près d’une semaine. Lundi dernier, par exemple, ses intervenants à Québec ont été beaucoup plus sollicités qu’à l’habitude. Il y a eu une légère baisse mardi, mais le nombre a de nouveau augmenté le lendemain.

Même constatation pour Myriam Day-Asselin chez Tel-jeunes et LigneParents : « Depuis lundi, on observe un volume de contacts [appels, courriels, textos…] assez important », indique la coordonnatrice au développement des contenus.

On note une hausse de 10 % des appels liés à la santé psychologique. Ils constituent normalement 40 % de nos appels, c’est monté à 50 %.

Myriam Day-Asselin, coordonnatrice chez Tel-jeunes et LigneParents

Sa collègue Chantal Vignola croit qu’il s’agit du début d’un mouvement qui pourrait s’emballer. « Il y a énormément de jeunes et de parents qui nous appellent. Et on s’attend à ce que ça s’accélère », dit la porte-parole chez Tel-jeunes et LigneParents.

Conséquences multiples

La psychologue Rose-Marie Charest est aussi d’avis que les conséquences psychologiques de la pandémie se multiplieront. Elle en observe d’ailleurs déjà un indice à sa clinique : les difficultés financières sont bien plus évoquées qu’à l’habitude.

« J’ai plus entendu parler de stress financier que de maladie dans les derniers jours. Et l’argent, c’est le dernier tabou ! Normalement, on me parle beaucoup plus de sexe que d’argent », précise l’ancienne présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.

Il y a des gens qui sont énormément stressés actuellement.

Rose-Marie Charest, psychologue

Les personnes qui risquent le plus de nourrir des idées noires sont celles qui ont peu de revenus, des problèmes de santé mentale et qui sont très isolées, croit Brian L. Mishara, directeur du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE) de l’Université du Québec à Montréal.

« Cette partie de la population est privée du soutien qu’elle recevait entre autres des organismes d’aide temporairement fermés. Et ces personnes seront encore plus à risque si les fermetures se prolongent », dit Brian L. Mishara.

À ce sujet, Danielle McCann a affirmé en point de presse mercredi après-midi que le gouvernement revoyait « l’organisation des services à travers tout le réseau ». La ministre de la Santé et des Services sociaux a ajouté que « par rapport à la santé mentale, c’est sûr qu’on va favoriser des interventions téléphoniques ».

Selon Lynda Poirier, les intervenants des différents services d’intervention sont formés pour aborder toutes les questions, dont celles relatives à la crise actuelle. « Je ferais un parallèle avec la crise des chauffeurs de taxi. On avait été interpellés pour mettre en place des mesures pour eux, et c’est ce que nous avons fait. Et c’est ce que nous faisons encore pour cette crise », affirme-t-elle.

Ne pas appréhender l’avenir

Les experts interviewés ont tous mentionné que l’anxiété et le stress ressentis en ce moment sont tout à fait normaux. « Nous sommes tous déstabilisés », dit Lynda Poirier.

Julie Kathleen Campbell, directrice générale de l’Association canadienne pour la prévention du suicide, observe que pour diminuer son anxiété, il est préférable de ne pas regarder en boucle les nouvelles sur la pandémie à la télévision. Ni de se surcharger d’activités. Le yoga, les livres, les jeux de société sont plus apaisants en pareilles circonstances.

Et surtout, les experts soulignent l’importance de rester en contact avec les autres. « Surtout si les organismes venant en aide aux personnes atteintes de troubles de santé mentale restent fermés, c’est le moment d’exprimer son intérêt à l’autre. Il faut appeler notre famille, nos voisins, nos collègues pour vérifier ce qu’ils font et comment ils vont », conclut Brian L. Mishara.

Si vous avez besoin de soutien ou avez des idées suicidaires, vous pouvez communiquer avec un intervenant des centres de prévention du suicide au 1 866 APPELLE (1 866 277-3553).