Envoyé en Tunisie grâce à un partenariat avec Affaires mondiales Canada, le Québécois Philippe Plante vit des heures d’angoisse depuis qu’il se rend compte que ses chances de rentrer au Canada bientôt sont quasiment nulles.

« On a passé huit heures à l’aéroport aujourd’hui, c’était le chaos, il n’y avait plus de places dans les avions, a-t-il dit au téléphone. Depuis quelques heures, la Tunisie ne laisse plus entrer ni sortir personne, mais l’ambassade canadienne nous dit de partir. On est dans le vide, on n’a aucune aide. »

Immunosupprimé en raison d’un traitement de radiothérapie subi il y a quelques années, M. Plante craint d’être infecté à la COVID-19 s’il reste en Tunisie, un pays en développement où 24 cas ont officiellement été déclarés et où un récent attentat suicide a causé une hausse de la présence de l’armée dans les rues.

« Là, je suis à l’épicerie, et c’est le chaos, il ne reste pratiquement plus rien. Les seuls masques qu’on trouve, ce sont les petits masques en papier pour faire du plâtre. Les Tunisiens montrent les Blancs du doigt et nous accusent de propager le coronavirus. Les taxis nous refusent. La tension est très élevée ici. »

M. Plante fait depuis le 10 février un stage avec l’ONG montréalaise Alternatives en collaboration avec le gouvernement canadien. Il dit n’avoir reçu aucune aide d’Alternatives ni d’Affaires mondiales Canada. « On est laissés à nous-mêmes. »

Michel Lambert, directeur général d'Alternatives, note que la fermeture par la Tunisie de toutes ses frontières est l'unique raison qui explique l'impossibilité du retour de M. Plante.

« Samedi dernier, le 14 mars, nous avons avisé Affaires mondiales Canada (AMC) que nous allions rapatrier tous nos stagiaires à l'International. AMC a accepté notre requête. À ce moment, 19 jeunes étaient toujours à l’international dans 6 pays. Au moment d’écrire ces lignes, nos stagiaires des autres pays sont tous rentrés ou en vol.

«Seuls les stagiaires en Tunisie ne sont pas en mesure de se déplacer. Nous n’avons tout simplement pas été en mesure de trouver des vols avant le 21 mars et la fermeture des aéroports par la Tunisie est venu rendre leurs vols impossible maintenant.»

« Ils nous ont fait peur »

Au nord de la Méditerranée, en Espagne, Claude Gagnon et sa femme vivent aussi dans la crainte de ne pas pouvoir rentrer au Canada.

Originaire de Drummondville, le couple est coincé dans une petite chambre de la ville côtière de Benalmádena, coupée du monde par le gouvernement espagnol, au quatrième rang des pays les plus touchés par la pandémie de COVID-19.

Mon épouse est diabétique, on va avoir besoin de médicaments tous les deux.

Claude Gagnon, la panique dans la voix

La semaine dernière, M. Gagnon a contacté la ligne téléphonique d’urgence SOS des voyageurs, mise sur pied par le gouvernement canadien. « Ils nous ont dit de rentrer au plus vite, ils nous ont fait peur. »

La situation en Espagne se détériore, avec près de 12 000 cas d’infection et 533 morts. Le pays est essentiellement fermé. « Nous avons pu acheter des pâtes et de la sauce, et c’est ce qu’on mange cette semaine. »

Après des jours de recherches, M. Gagnon a trouvé un billet pour Montréal avec une escale à Paris, jeudi. « Ma peur, c’est qu’on nous refuse l’entrée à Paris. Ce ne serait pas surprenant, car on arrive d’Espagne. On se dit qu’on va sans doute attraper le virus. On n’est plus très jeunes, on se demande si on va mourir ici. »

« Toutes les avenues possibles »

En point de presse à Rideau Cottage, mardi, Justin Trudeau a dit que le gouvernement canadien « étudiait toutes les avenues possibles » afin de rapatrier les Canadiens actuellement coincés à l’étranger.

« Il y a 3 millions de Canadiens qui travaillent et qui vivent à l’étranger, et je crois qu’il est réaliste de dire que certains d’entre eux ne vont pas revenir au pays au cours des prochaines semaines. Nous allons rendre des mesures disponibles via Affaires mondiales Canada, nous travaillons avec les transporteurs aériens pour nous assurer de pouvoir rapatrier les Canadiens qui le désirent. »

Mais plusieurs compagnies aériennes ont commencé à restreindre le nombre de vols prévus pour tenir compte des fermetures de frontières. Corsair, notamment, a suspendu tous les vols Paris-Montréal à compter de dimanche, et ce, jusqu’à la fin du mois de mai, soit pour plus de deux mois.

« L’ambassade n’est pas là pour nous »

Michel Côté et sa conjointe Hélène Lévesque sont en Espagne depuis le 9 mars. Coincés dans leur chambre à Malaga, ils mettent des gants de vaisselle quand ils sortent. « L’autre jour, un policier nous a ordonné de nous séparer dans la rue, car nous marchions côte à côte », dit M. Côté.

Aidés par leur famille au Québec, ils ont réussi à avoir un vol de retour à Montréal ce dimanche, en passant par Paris, et espèrent que les frontières seront toujours ouvertes à ce moment-là.

La situation est la même au Pérou, où Jade Castonguay, qui habite à Terrebonne, est coincée avec son conjoint. Leur vol de retour avec Air Canada devait avoir lieu mardi, mais il a été annulé. « Là, on a un vol samedi, mais tout le monde nous dit que l’aéroport sera fermé. L’ambassade n’est pas là pour nous. Avec ma condition asthmatique, c’est un peu paniquant. Je n’ai plus de pilules pour l’asthme. »

Le couple reste dans sa chambre d’hôtel et subsiste en mangeant des chips, des craquelins et de maigres repas. 

On n’a plus le droit de sortir. L’armée est partout. Tout est fermé.

Jade Castonguay

On dénombre 117 cas d’infection à la COVID-19 au Pérou.

Antony Williams-Jones, professeur de géologie à l’Université McGill, est quant à lui bloqué avec cinq étudiants à Casablanca, au Maroc, où il a assisté à des scènes de chaos à l’aéroport, samedi.

« Le gouvernement canadien nous dit de partir, mais on ne peut pas, et il y a des milliers de citoyens canadiens dans notre situation au Maroc. Ça n’a aucun sens. Ottawa a la responsabilité de protéger les Canadiens et de rapatrier les gens qui sont dans une situation dangereuse. Ils doivent s’entendre avec le gouvernement du Maroc. »

M. Williams-Jones est « résigné » à vivre la vague de la COVID-19 au Maroc, où 37 personnes sont officiellement infectées.

Son fils, Bryn Williams-Jones, professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, a lancé une pétition pour le rapatriement des Canadiens à l’étranger.

> Consultez la pétition

« On déplore que le message du gouvernement, c’est : “Rentre, mais débrouille-toi”, dit-il. Si la France est capable de rapatrier ses citoyens, le Canada est capable de le faire aussi. »

En bateau

Même des Canadiens qui voyagent en bateau cherchent un bon endroit pour « vivre » la crise.

Partie depuis six mois avec son conjoint et leurs deux garçons de 10 et 12 ans faire le tour du monde en voilier, Catherine Rochon veut tenter de se rendre à Porto Rico.

« Actuellement, on est en République dominicaine et on fait des provisions », a-t-elle dit au téléphone.

En République dominicaine, où l’on compte 21 cas d’infection à la COVID-19, et un mort, les rassemblements sont toujours permis et la vie suit son cours, mais l’armée est sur les dents, dit Mme Rochon.

« L’autre jour, des militaires me cherchaient, car quelqu’un avait dit qu’une Catherine avait un enfant malade. Ce n’était pas moi, mais c’était évident qu’ils étaient nerveux. »

— Avec Mélanie Marquis, La Presse

Retour au pays rocambolesque pour des élèves de Châteauguay

Dans le contexte de la COVID-19, un groupe de l’école secondaire Louis-Philippe-Paré de Châteauguay a dû planifier un départ d’urgence dès qu’il a mis le pied au Guatemala, le 12 mars.

Lundi, après environ huit changements de plan impliquant des vols annulés, l’attente de carburant pour un avion et un séjour à l’hôtel, une véritable course contre la montre s’est amorcée. En moins de 20 heures, la ligne aérienne privée Nolinor a reçu une demande de la Commission scolaire des Grandes-Seigneuries et a permis le rapatriement du groupe avant la fin du compte à rebours. Les élèves avaient exactement deux heures pour se rendre dans l’avion. Le Boeing 737-200 aux couleurs des Alouettes de Montréal a atterri à Dorval à 8 h mardi matin.

Un véritable casse-tête pour la direction de l’établissement scolaire. « Ils sont passés du plan A et ça, c’est le plan Z », a commenté Stéphane Caron, père d’un adolescent de 16 ans qu’il attendait à l’aéroport Montréal-Trudeau au petit matin.

— Mayssa Ferah, La Presse

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