Si la campagne de vaccination se poursuit « selon le plan de match », le gouvernement Legault admet se questionner sur la nécessité de conserver la moitié des vaccins pour administrer une deuxième dose, tel qu’exigé par le fabricant Pfizer. Des experts au Québec et en Ontario préconisent plutôt une utilisation de toutes les doses reçues pour une campagne de vaccination plus rapide des personnes vulnérables.

En début de semaine, une étude de l’Université de Toronto jugeait plus efficace de vacciner massivement la population avec toutes les doses disponibles au lieu de garder la moitié des doses en réserve. Dans le cas du vaccin de Moderna, on démontre une efficacité de 50,8 % dans les deux semaines suivant la première injection, selon l’étude relayée par le Globe and Mail. La campagne de vaccination serait donc plus efficace en administrant le plus de doses sans attendre, estiment les chercheurs à l’origine de l’étude.

« Ce sont aussi en effet nos conclusions au vu de nos modélisations », indique Benoit Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, qui étudie la question avec un groupe de chercheurs.

L’Ontario a affirmé mardi avoir adopté cette approche. Québec continuera pour le moment de réserver la deuxième dose, puisqu’il s’agit d’une exigence de Pfizer, fabricant du vaccin. Elle demeure nécessaire pour garantir une immunité à long terme.

Interpellé à ce sujet, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a souligné avoir demandé aux autorités de santé publique de déterminer si le Québec pouvait « forcer la main à Pfizer » pour libérer toutes les doses requises.

« Dès le départ, on a voulu évaluer cette possibilité-là. C’est clair qu’on a une réflexion intense là-dessus. On va arriver avec une recommandation sous peu qui va être adaptée à la situation épidémiologique du Québec, c’est-à-dire une très grande circulation », a soutenu le DHoracio Arruda en point de presse mardi. Le virus « ne prend pas de vacances » et il est « partout actuellement », a-t-il ajouté.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique, lors du point de presse mardi

On pense probablement que même si on vaccinait certaines personnes avec un délai plus élevé que prévu, il n’y aurait pas d’effet sur la protection des individus. C’est un scénario qu’on a étudié bien avant que d’autres provinces l’aient regardé.

Horacio Arruda, directeur national de santé publique

« Il s’agit de recommandations que nous avons formulées au fur et à mesure de l’accélération de notre chaîne d’approvisionnement afin de livrer les doses du vaccin aux provinces de manière régulière à l’avenir », explique Christina Antoniou, directrice des affaires publiques de Pfizer Canada.

C’est une approche prudente afin de garantir que les deux doses du vaccin soient administrées à 21 jours d’intervalle, ajoute-t-elle.

« Toutefois, il appartient aux provinces de déterminer comment elles administreront leur programme de vaccination. »

Des 55 000 doses déjà reçues par le Québec, 27 000 doivent actuellement être préservées à cause des exigences de Pfizer. Le ministre Dubé affirme que la demande d’assouplissement du Québec sera probablement bien reçue par le fabricant américain, entre autres parce que la province a vacciné sans attendre et respecté ses règles à la lettre.

Stratégie gagnante

Utiliser toutes les doses à notre disposition est une stratégie gagnante en situation d’urgence, confirme Benoit Mâsse. Il suffit d’avoir une garantie de livraison de la deuxième dose, ce qui ne semble pas être un problème pour le vaccin de Pfizer.

Avec une première dose, le vaccin est déjà efficace à 50 %. Même si on dépassait un peu le délai de trois semaines pour administrer la deuxième dose, ça ne diminue pas.

Benoit Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Le vaccin n’est toujours pas homologué, rappelle M. Mâsse.

« La compagnie doit monter un dossier d’homologation. Pour ce faire, il faut le plus possible que le vaccin soit administré en respectant la méthode avec laquelle il a été testé. » Pour être vendu à des entreprises privées, le vaccin doit être homologué, c’est-à-dire qu’on doit certifier sa conformité aux normes.

Quelque 22 500 personnes ont été vaccinées jusqu’à présent. Le chiffre peut sembler très bas, admet M. Mâsse, mais il faut plutôt compter le pourcentage de personnes vulnérables vaccinées. Si tous les occupants des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), des résidences privées pour aînés (RPA) et les aînés reçoivent l’injection d’ici février, on pourra espérer une diminution des décès et des hospitalisations. « La transmission communautaire perdurera, mais nous aurons protégé les plus vulnérables. »

« L’enjeu des demi-doses, on va être capables de jouer avec. À mon avis, c’est une question d’une semaine, pas plus », a conclu M. Dubé en point de presse. Le DArruda, lui, s’est voulu rassurant. Il a notamment promis qu’il ne « mettra jamais en péril la santé des Québécois » en utilisant un « calendrier modifié », si la Santé publique ne dispose pas de suffisamment de données probantes.