Cette fois, c’est clair. La décision d’annuler les rassemblements à Noël était bel et bien politique. Elle venait de François Legault.

La Santé publique a été prévenue – et non consultée – mercredi soir.

Le DHoracio Arruda et son équipe ne s’y opposaient pas, mais ils préféraient attendre le 11 décembre. À la fois pour avoir un portrait épidémiologique plus précis et pour ne pas démobiliser les gens, dont la docilité baisse en même temps que le mercure…

Mais le premier ministre n’est pas réputé pour sa patience. Il n’hésite pas à avouer ses erreurs et à corriger le tir. À une semaine de l’échéance, il devenait pratiquement impossible que la tendance épidémiologique s’inverse. Et M. Legault a aussi été étonné par un sondage CROP révélé par La Presse montrant que 60 % des Québécois voulaient éviter les rassemblements à Noël.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

À une semaine de l’échéance du 11 décembre pour sauver ou sacrifier Noël, il devenait pratiquement impossible que la tendance épidémiologique s’inverse.

Mais il y a plus. M. Legault n’avait pas envie non plus d’encaisser les attaques de l’opposition pendant encore une semaine. Ce ne serait pas la meilleure façon de finir sa session parlementaire.

Depuis le début de la crise, le premier ministre demande aux Québécois d’être indulgents. La crise est inédite, le système de santé est fragile et la science sur le virus évolue. Le risque zéro n’existe pas et le gouvernement est condamné à choisir la moins mauvaise option, à partir d’hypothèses difficiles à vérifier.

Tout cela est vrai. Mais pour M. Legault, c’est aussi une façon de mettre l’opposition sur la défensive en lui demandant de trouver des solutions au lieu de chercher des problèmes.

L’opposition a ajusté son discours. Elle reconnaît que le travail de M. Legault est difficile, mais elle lui rappelle sa part de responsabilité dans le contrat moral avec les citoyens.

En fait-il assez pour le dépistage et le traçage ? Avait-il un plan pour ceux qui retournent à leur résidence pour aînés après avoir fêté Noël avec leurs proches ? Et pourquoi ne pas avoir imposé plus tôt la limite de clients dans les commerces ?

Ce sont d’excellentes questions, et elles l’énervent.

À cela s’ajoute une petite touche de rancœur mutuelle. La cheffe libérale Dominique Anglade est l’ancienne présidente du parti de M. Legault. Après son départ, il s’est senti trahi. Et le chef parlementaire péquiste Pascal Bérubé travaillait pour M. Legault quand ce dernier était ministre péquiste. M. Bérubé se désole encore de la désertion de son ancien patron.

Ces chefs se connaissent assez bien pour savoir sur quel bouton appuyer pour faire sortir la vapeur…

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Bien sûr, tout cela, ce n’est pas que la joute.

Même si l’opération Sauver Noël a été un échec de communication, la nation s’en remettra vite. Le résultat final compte plus que l’intention de départ, et heureusement, le risque démesuré n’a pas été pris.

On peut maintenant passer à un dossier plus important pour la santé publique, et plus périlleux pour M. Legault : la campagne de vaccination.

J’ai appris que Québec présenterait un plan dans les prochains jours. Ce ne sera pas la version définitive – pour cela, il faudra attendre qu’Ottawa précise le type de vaccin distribué, le nombre de doses et la date.

Mais Québec est prêt à annoncer bientôt des décisions délicates. À commencer par celle concernant les groupes qui seront vaccinés.

La question sera dépolitisée. C’est le Comité sur l’immunisation du Québec qui tranchera. Ce groupe de 11 scientifiques relève de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Il est formé de médecins (microbiologie, santé communautaire, maladies infectieuses, pédiatrie, médecine sociale et préventive) ainsi que de membres de la Direction des risques biologiques et de la santé au travail de l’INSPQ.

Selon mes informations, leur avis sera écrit et il sera rendu public. On en déduit que le gouvernement n’y dérogera pas. C’est de toute façon dans son intérêt, s’il veut s’épargner les pressions de ceux qui se battront pour être les premiers vaccinés.

Le comité pourra s’inspirer des orientations préliminaires données il y a un mois par le comité fédéral sur l’immunisation. On y identifiait des groupes prioritaires (malades à « haut risque », travailleurs de la santé, etc.). Mais l’avis, très général, ne hiérarchisait pas entre ces vastes catégories.

Québec devra aussi préciser comment stocker et administrer le vaccin. Par exemple, le vaccin de Pfizer et BioNTech doit être conservé à -70 °C. Environ 60 congélateurs ont été commandés, et le tiers auraient déjà été reçus. Ces congélateurs s’ajouteront à ceux qui existent déjà dans le réseau de la santé. Le fédéral en livrera aussi au moins un à chaque province.

La pénurie d’infirmières compliquera la campagne. Beaucoup sont en congé de maladie, et celles qui restent sont débordées. Comme La Presse l’annonçait il y a deux mois, un arrêté ministériel se prépare pour permettre à d’autres professionnels, comme les dentistes, d’administrer le vaccin. L’annonce devrait se confirmer avant Noël.

Quant aux lieux de vaccination, la campagne actuelle pour la grippe en donne un avant-goût. Le même risque de contamination pour la COVID-19 s’y pose. On préconise donc la prise de rendez-vous, et le personnel soignant se déplace dans les résidences pour aînés et les autres lieux où se trouvent les gens vulnérables.

Jeudi, un mois après le début de l’opération, un million de doses avaient été données pour la grippe, soit près de la moitié. Mais ce sera plus compliqué pour la COVID-19. Et beaucoup plus important aussi.

Le gouvernement Legault le sait, sa cote de popularité en dépend. Pour l’instant, elle se maintient autour de 70 %, un taux très enviable. Mais à de telles hauteurs, il est plus facile de descendre que de monter.