La société pharmaceutique Pfizer a annoncé lundi que le vaccin qu’elle élabore pour contrer la COVID-19 atteint une efficacité inespérée de 90 %. Si la nouvelle suscite l’espoir, plusieurs obstacles restent à surmonter d’ici à ce que nous puissions bénéficier massivement de cette avancée.

Cinq patients importants

Le géant pharmaceutique est resté muet sur un critère essentiel pour l’autorisation d’urgence du vaccin. Des 43 538 personnes participant à l’étude, la moitié a reçu le vaccin mis au point par Pfizer et BioNTech, une entreprise allemande, et l’autre moitié a reçu un placebo. Tous ces patients ont mené une vie normale et ont été testés au fil du temps.

Au total, 94 participants ont reçu un diagnostic positif de COVID-19 lors de ces tests. De ce nombre, 84 ou 85 se trouvaient dans le groupe placebo, et ont reçu une injection ne contenant pas le vaccin, ce qui suggère une protection pour ceux qui ont reçu le vrai vaccin.

Le problème, c’est que l’agence de réglementation des médicaments aux États-Unis (FDA) a dit en octobre que pour qu’un vaccin soit autorisé d’urgence, cinq des participants ayant contracté le virus dans le groupe placebo doivent avoir développé des symptômes graves. Cela a pour but d’éviter qu’un vaccin ne fasse que réduire la probabilité de contracter une version bénigne de la COVID-19, mais que le risque d’avoir une COVID-19 grave reste le même. Cela donne à penser que Pfizer n’a pas encore atteint ce critère.

Par exemple, au Québec, seulement 5 % des malades recevant un diagnostic positif de COVID-19 ont des symptômes jugés graves. Comme le Québec ne teste pas toute sa population, contrairement à Pfizer qui teste régulièrement tous les participants de son essai, on peut présumer que de nombreux cas asymptomatiques ne sont pas dépistés chez nous. Et donc que la réelle proportion de cas graves parmi tous ceux qui ont la COVID-19 au Québec est donc en réalité en dessous de 5 %. Il y a donc normalement une plus grande proportion de cas asymptomatiques parmi les tests positifs de Pfizer.

« Cinq cas graves sur 85 diagnostics positifs, ça serait vraiment beaucoup, et je pense qu’ils l’auraient mentionné dans le communiqué [s’ils avaient atteint ce chiffre] », indique Frédéric Ors, PDG d’IMV, une entreprise de Québec qui a récemment reçu l'autorisation de lancer un essai clinique de phases 1-2 pour un vaccin contre la COVID-19, sous réserve de finaliser des études précliniques. Nicholas Brousseau, de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), pense lui aussi qu’il serait surprenant que le seuil de cinq cas graves ait été atteint. « Mais s’il y a beaucoup de personnes âgées parmi les cas du groupe placebo, on ne sait jamais », dit le DBrousseau.

Pas avant les Fêtes

Est-ce que cette nouvelle nous permet de rêver à une campagne de vaccination prochaine ? Pfizer a indiqué à plusieurs reprises qu’elle demanderait une autorisation d’urgence pour son vaccin à la mi-novembre, ce qui correspond à une autre exigence de la FDA, soit un suivi de deux mois pour assurer que le vaccin est sécuritaire. Mais s’il n’y a pas encore cinq cas graves dans le groupe placebo, l’essai clinique devra se poursuivre encore plusieurs semaines. Pour ces raisons, le DBrousseau et le DDon Sheppard, directeur de l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de McGill (MI4), estiment qu’il est « peu probable » qu’une vaccination commence au Canada avant les Fêtes. « Peut-être qu’il y aura quelques projets-pilotes, mais on ne commencera pas à vacciner les groupes prioritaires avant janvier », dit le DSheppard.

L’autorisation du Canada

Santé Canada n’a pas ciblé, comme la FDA, de critères spécifiques pour l’approbation d’un vaccin contre la COVID-19, mais elle évalue la progression des essais cliniques au fur et à mesure que les données sont diffusées, alors qu’habituellement, l’examen est fait à la fin des essais cliniques, selon Nathalie Charland, directrice scientifique de Medicago, entreprise de Québec qui publie les résultats de la phase 1 de son vaccin contre la COVID-19 mardi matin. Le premier vaccin ne devrait pas être approuvé plus tard par Santé Canada que par la FDA, selon le DSheppard et le DBrousseau. Un vaccin de Pfizer ne sera pas pour le moment produit au Canada, le géant pharmaceutique n’ayant pas d’usine de vaccins ici. Et il n’y a pas d’usine commerciale de vaccin à ARN, la nouvelle technologie utilisée par Pfizer et d’autres entreprises en avance dans la course, comme Moderna ou le vaccin élaboré conjointement par AstraZeneca et l’Université Oxford. Le vaccin russe Spoutnik V est aussi un vaccin à ARN.

Qu’est-ce qu’un vaccin à ARN ?

L’ARN est un code génétique, comme l’ADN. Les vaccins à ARN utilisent un virus inoffensif, dont ils modifient l’ARN pour qu’il produise des morceaux du virus de la COVID-19, le SARS-CoV-2. Ces morceaux de SARS-CoV-2 génèrent une réaction immunitaire chez la personne qui reçoit le vaccin, et la protègent contre le SARS-CoV-2. « C’est une technologie complètement nouvelle, explique le DSheppard, de McGill. Pour cette raison, on va probablement attendre un peu pour vacciner les enfants, même si la sécurité semble bonne pour les adultes. » Les vaccins à ARN sont aussi très fragiles : il faudra conserver à — 70 degrés Celsius le vaccin de Pfizer. Le DBrousseau note qu’il s’agit de la température de la glace sèche, ce qui est un progrès par rapport aux premières indications de Pfizer, qui prévoyait une conservation à -80 degrés. Pfizer a d’ailleurs mis au point des boîtes de transport du vaccin par avion, avec de la glace sèche et un émetteur GPS relié à un thermomètre. Un autre vaccin à ARN, celui de la société Moderna, doit être conservé à — 20 degrés Celsius. Cela signifie probablement que la vaccination se fera à partir de quelques centres, au lieu d’être délocalisée dans les cliniques, selon Maryse Guay, spécialiste de la vaccination à l’Université de Sherbrooke et au Centre de recherche de l’hôpital Charles-Lemoyne. « Toute l’organisation de la vaccination est faite pour une conservation des vaccins entre 2 et 8 degrés Celsius », précise la Dre Guay.

Bonne nouvelle pour Medicago

Medicago est une entreprise de Québec qui planche aussi sur un vaccin contre la COVID-19. Elle publie ce mardi matin les résultats de la première phase de son essai clinique. Tous les 180 patients de l’essai clinique de phase 1 de Medicago pour son vaccin contre la COVID-19 ont eu des anticorps contre le SARS-CoV-2, coronavirus responsable de la maladie. La réponse sur le plan des lymphocytes T, composante essentielle du système immunitaire, est aussi très bonne, selon Nathalie Charland. Medicago, qui produira son vaccin à partir de plantes temporairement transgéniques, a aussi testé deux adjuvants, des molécules qui augmentent la réponse immunitaire. « L’adjuvant de GSK, que nous utiliserons pour la phase 2-3, a permis une bonne réponse avec une dose plus faible de vaccin, ce qui pourrait nous permettre de vacciner davantage de personnes », indique Mme Charland. Elle a bon espoir que la phase 2-3 — ou à tout le moins une phase 2 — des essais cliniques soit autorisée d’ici janvier. Cette phase 2-3 ne sera plus seulement au Québec, mais aussi ailleurs au Canada et aux États-Unis. Medicago inclura des participants âgés, certains de plus de 75 ans, dans son prochain essai clinique, puisqu’il s’agit de la clientèle la plus vulnérable.

Rififi sur l’efficacité

Récemment, dans le Journal de l’Association médicale américaine, Peter Doshi, professeur de pharmacie à l’Université du Maryland, a dénoncé les exigences de la FDA pour un vaccin contre la COVID-19, trop faibles à son avis parce que seule une réduction des cas avec symptômes est exigée. Une réduction du nombre de cas de 90 % n’est-elle pas une bonne nouvelle ? « Oui, quand on compare à l’efficacité de 40 % à 60 % du vaccin grippal, ça a l’air bien, mais on n’a aucune idée si l’effet est aussi important pour la réduction des hospitalisations et des décès, dit le DDoshi. Les données sur ce point pour la grippe ne me convainquent pas. » Les experts québécois interviewés par La Presse soulignent qu’à tout le moins, un vaccin va réduire la transmission du coronavirus. « Je vais être le premier en ligne pour un vaccin qui nous permettra de recommencer une vie normale », a dit M. Ors d’IMV, de Québec. Dans la revue Nature Reviews Immunology, en septembre, deux experts de la revue Nature ont avancé que la transmission pourrait être enrayée avec une immunité de groupe de 67 % de la population, ce qui signifierait que moins des deux tiers de la population devrait être vaccinée.

La Bourse dopée par l’annonce

Les marchés boursiers américains ont clôturé lundi à des sommets records, après que la société pharmaceutique Pfizer a annoncé des données préliminaires encourageantes pour son vaccin contre la COVID-19, une nouvelle qui a revigoré les espoirs de reprise économique mondiale. L’indice Dow Jones a frôlé tôt le matin les 30 000 points, terminant la journée juste en dessous du sommet du début de mars.

– D’après La Presse Canadienne

L’efficacité des autres vaccins

29 % : efficacité du vaccin grippal 2018-2019
38 % : efficacité du vaccin grippal 2017-2018
40 % : efficacité du vaccin grippal 2016-2017
48 % : efficacité du vaccin grippal 2015-2016
90 % : efficacité du vaccin monodose contre la polio
99 % : efficacité du vaccin à deux doses contre la polio
93 % : efficacité du vaccin monodose contre la rougeole
97 % : efficacité du vaccin à deux doses contre la rougeole

Source : Centers for Disease Control and Prevention

Une version antérieure indiquait erronément qu'IMV a déjà commencé son essai clinique de phase 1-2. En fait, IMV a récemment reçu l'autorisation de Santé Canada de lancer un tel essai clinique, sous réserve de finaliser des études précliniques. Nos excuses.