Banni de YouTube jeudi pour violation de sa politique contre la désinformation médicale entourant la COVID-19 et écarté de Facebook la semaine dernière pour ses liens avec le mouvement conspirationniste QAnon, Alexis Cossette-Trudel, figure de proue du mouvement antimasque québécois, transfère ses vidéos vers la plateforme russe VKontakte, repaire de groupes extrémistes en tout genre.

Tôt en matinée jeudi, Google a confirmé la fermeture définitive de la chaîne Radio-Québec, que M. Cossette-Trudel animait sur YouTube depuis plusieurs mois. Ses vidéos, suivies par plus de 100 000 fidèles, ont régulièrement fait l’apologie des théories de QAnon, un mouvement conspirationniste qui soutient que l’élite libérale mondialiste est contrôlée par un « cercle pédosataniste ».

Ces dernières semaines, M. Cossette-Trudel a comparé à de multiples occasions la COVID-19 à la grippe saisonnière, a affirmé que la chloroquine était un remède miracle caché à la population, et a soutenu que la pandémie faisait partie d’un grand plan des démocrates pour déstabiliser Donald Trump.

Il assurait dans sa plus récente vidéo, en se basant sur les déclarations du président américain, que le médicament expérimental de la société Regeneron qui lui a été administré est « la cure pour le COVID ». « Le médicament l’a guéri de la COVID en 24 heures ou en 48 heures. Le Regeneron guérit de la COVID presque instantanément », affirmait-il, ajoutant que les hôpitaux « vont se vider » et qu’il n’y aura plus aucun décès, « zéro hospitalisation » grâce à ce remède qui sera « en vente libre partout ».

« C’était une vidéo de trop et on a mis fin à sa chaîne », a indiqué à La Presse la porte-parole de Google, Luiza Staniec. La multinationale affirme avoir retiré six vidéos de M. Cossette-Trudel au cours des six derniers mois pour violation de sa politique d’utilisation, et avoir procédé à une révision de l’ensemble du contenu de la chaîne après avoir reçu une importante quantité de signalements d’utilisateurs ces derniers jours.

« Nous avons des politiques claires contre les propos affirmant que le virus est une supercherie, les propos qui promeuvent des remèdes médicaux non fondés, ou qui encouragent les gens à ne pas consulter des professionnels de la santé », a indiqué Mme Staniec.

Joint par La Presse, M. Cossette-Trudel s’est dit victime d’une campagne de censure de la part de Google. « Je n’ai reçu aucun avertissement de la part de Google. Toutes mes vidéos étaient factuelles », s’est-il défendu. « Je montrais des clips d’Horacio Arruda, de François Legault et Donald Trump, et je posais des questions. Je faisais du commentaire sans théorie. Cette décision-là est totalement arbitraire », a affirmé M. Cossette-Trudel.

Migration vers VKontakte

Comme d’autres figures de proue du mouvement antimasque, M. Cossette-Trudel invite maintenant ses abonnés à le suivre sur le réseau social russe VKontake, aussi appelé VK, ainsi que sur d’autres plateformes. Stéphane Blais, président de la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple, qui a organisé plusieurs manifestations antimasques au Québec, a aussi invité les « résistants libres » à le rejoindre sur VK.

Très semblable à Facebook dans son apparence et son fonctionnement, « VK est une référence dans le milieu extrémiste », affirme le chercheur Guilhem Aliaga, de l’Université de Sherbrooke, spécialiste de la communication stratégique et de la veille de mouvements extrémistes sur les réseaux sociaux. « C’est devenu un repaire pour une grande majorité [des militants] de l’alt-right parce qu’ils sont beaucoup plus libres d’y affirmer ce qu’ils veulent. Ils peuvent y tenir des propos beaucoup plus virulents », affirme-t-il.

« En France, des membres de la droite radicale renommés, comme Dieudonné, Alain Soral ou Boris Le Lay, l’ont déjà rejoint et ne sont toujours pas exclus », ajoute M. Aliaga. Plusieurs groupes néonazis y ont aussi migré au cours de l’été après avoir été bannis par les géants américains du web.

Réseau proche de Poutine

VK est sous le contrôle financier de l’oligarque russe Alicher Ousmanov, réputé proche du Kremlin et de Vladimir Poutine. Selon José Fernandez, professeur de cybersécurité à l’École polytechnique de Montréal, la sécurité des données n’y est pas mieux ou moins bien protégée que sur n’importe quelle autre plateforme numérique. « Mais le risque de manipulation au niveau politique et moral est beaucoup plus élevé. On n’est pas du tout dans le même contexte géopolitique. Le Canada et les États-Unis n’ont pas le bras assez long pour intervenir légalement sur ce qui s’y fait, comme ils peuvent le faire avec Facebook », analyse-t-il.

« Toutes les informations comportementales qui sont récoltées sur ce réseau ont une énorme valeur. VK s’en sert pour prédire des comportements. Le but de cette plateforme, ultimement, c’est de déstabiliser par la subversion », croit M. Fernandez.

Le chercheur David Morin, cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, croit quant à lui que la migration des antimasques vers VK pourrait mener à court terme à un essoufflement de leur mouvement, mais risque de cristalliser un noyau dur de supporters autour de leur cause. « On peut s’attendre à un durcissement de celui-ci, et potentiellement à un glissement dans la violence pour quelques-uns », prédit-il.

« Il y a quelque chose d’ironique à voir des individus qui disent défendre la liberté d’expression et dénoncent la censure dont ils seraient victimes se réfugier sur une plateforme russe, qui entretient des liens pour le moins ambigus avec un gouvernement loin d’être un modèle – pour le dire poliment – en matière de respect des libertés civiles », ajoute M. Morin.