L’adhésion d’un proche aux théories du complot mène souvent à une dégradation des liens d’amitié. Dans certains cas, les théories du complot brisent carrément les familles. La Presse Canadienne a discuté avec un homme qui a choisi de rompre le dialogue avec plusieurs de ses proches, pour éviter les confrontations.

André est issu d’une famille nombreuse et avant la pandémie, il était en contact régulièrement avec ses proches.

André est un nom fictif, La Presse Canadienne a accepté de protéger l’identité de la personne, car elle ne souhaite pas envenimer les relations avec sa famille, qui sont déjà difficiles.

« Mon père et ma mère ne jurent que par Alexis Cossette-Trudel et inondent les réseaux sociaux de publications concernant Alexis », a expliqué André qui dit s’être rendu compte de l’endoctrinement de ses parents lorsque son père a commencé à publier des théories concernant des réseaux de pédophiles dirigés par des politiciens :

« Mon père parlait de réseaux de pédophiles dirigés par Obama et Clinton, c’est ça qui m’a allumé et j’ai compris à quel point il y avait un problème… C’est ça le point de départ pour mes parents, les histoires de réseaux pédophiles. Mon père est un homme intelligent et ma mère a une belle sagesse, je ne comprends pas comment ils sont tombés là-dedans. »

Au printemps, ses parents ont délaissé les théories du complot concernant les réseaux de pédophiles pour parler de plus en plus de la COVID-19, qui serait « une conspiration mondiale ».

« J’ai arrêté d’aller chez mes parents [pendant le déconfinement] parce que ce n’est plus endurable d’entendre parler de ces théories. Peut-être que mes parents pensent que je ne les aime plus, mais ce n’est pas ça. C’est vraiment difficile », a-t-il confié.

André a expliqué que son père, un homme qui exerce beaucoup d’influence sur ceux qui l’entourent, a réussi à « embarquer d’autres personnes » de son entourage dans les théories du complot.

Des connaissances d’André ont récemment parcouru des centaines de kilomètres en voiture pour participer à une manifestation antimasque à Rimouski.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @LAGOURMANDE

Une manifestation antimasque a eu lieu à Rimouski, le 3 octobre.

« Je ne comprends pas, ce n’est pas normal que des gens intelligents se rendent manifester à Rimouski contre les masques, et en plus ils « pognent » des contraventions. Comment des gens intelligents peuvent décider de faire ça ? »

André affirme avoir contracté la COVID-19 au printemps, avoir souffert « de maux de tête épouvantables pendant trois semaines » et avoir perdu l’odorat depuis. Mais ses propres parents ne l’ont pas cru.

« Ils savent que j’ai été malade, mais pour eux ce n’est pas la COVID », a expliqué l’homme qui soutient que « les théories du complot ont brisé sa famille ».

André est d’avis que les complotistes se nourrissent de la « désorganisation » et du « manque de planification » dont fait parfois preuve le gouvernement concernant la crise sanitaire.

« J’aimerais voir plus de scientifiques sortir publiquement, plus de médecins prendre la parole sur le sujet, plus d’arguments scientifiques », a indiqué André.

Le dialogue plutôt que la confrontation

Selon Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), il est contre-productif de confronter et dénigrer un proche endoctriner par les théories du complot.

« Il ne faut pas les confronter directement et les traiter de « coucous », ça produit l’effet inverse, ça va les braquer et causer plus de problèmes et même dans les thérapies, les taux de réussite ne sont pas très grands, alors il n’y a pas de recette magique », a indiqué le directeur du CEFIR qui croit qu’il faut miser sur l’éducation scientifique.

« Ce n’est pas la faute d’Alexis Cossette-Trudel si les gens croient aux théories du complot. On n’a pas assez investi dans l’éducation scientifique. Est-ce qu’on peut avoir une éducation scientifique pour que les gens puissent faire la différence entre une revue scientifique et un blogue ? Est-ce qu’on peut apprendre aux jeunes c’est quoi un article scientifique évalué par les pairs en double aveugle ? », demande le directeur du CEFIR.

Martin Geoffroy affirme être « dépassé par les demandes d’aide » depuis le début de la pandémie et note que de plus en plus de Québécois vivent des situations semblables à celle d’André.

« Quand vous êtes rendu à un très haut degré d’investissement dans les théories du complot, vous décidez souvent de laisser tomber votre famille, c’est un processus sectaire qui n’est pas nouveau », a expliqué celui qui étudie les sectes depuis une trentaine d’années.

Régulièrement, le directeur du CEFIR réfère les familles dont un membre est endoctriné au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV).

Pour Margaux Bennardi, coordonnatrice de l’accompagnement et de l’engagement communautaire au CPRMV, il n’existe pas de solution miracle pour « déprogrammer » un individu et il est important de conserver le dialogue avec la personne qui se radicalise.

Dans ce sens, le centre propose aux familles et au proche qui s’est radicalisé, un « lieu de rencontre pour dialoguer ».

« Au centre, on n’est pas dans une logique de déprogrammation, mais dans une logique d’accompagnement, on propose un lieu d’échange, sur une base volontaire, dans le non-jugement », a-t-elle expliqué.

Elle a ajouté qu’il existe « une infinité de façons d’accompagner les familles » et parfois, cet accompagnement se traduit par des rencontres lors desquelles les individus qu’on veut accompagner partagent « leurs théories, leurs vidéos et leurs inquiétudes ».

« Par exemple si la personne affirme qu’un médecin a fait telle sorte de déclaration, alors on peut dire d’accord, on va trouver un autre médecin et on va avoir une discussion avec. Et la personne peut se sentir libre de lui poser toutes ses questions et le médecin pourra parler de ce qui en est. C’est le genre de choses qu’on peut faire. »

La famille d’Alexis Cossette-Trudel souffre également

Les leaders complotistes ne causent pas seulement du tort aux familles des plus incrédules, ils brisent parfois, aussi, leur propre famille.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L'animateur de Radio-Québec, Alexis Trudel-Cossette

Après la mère d’Alexis Cossette-Trudel qui a parlé de la relation avec son fils et de ses inquiétudes lors d’une entrevue récente avec Denise Bombardier, la sœur du youtubeur a publié une lettre ouverte la semaine dernière dans laquelle elle s’exprime sur son frère.

Voici un extrait de ce qu’a publié Maria-Ange Cossette-Trudel, professeure de philosophie au cégep Montmorency :

« Il n’est plus simplement question de désaccord ni de malaise, c’est un désastre à tous points de vue pour moi. Une grande, grande tristesse. Une honte aussi. Malgré tout mon amour, ma patience, mon écoute, ma ruse, je n’aurai pas réussi à le raisonner. C’est rendu trop gros pour moi, trop dangereux. Il est brillant, terriblement brillant. Il est fin stratège, il calcule tout, anticipe tout. J’aimerais être aussi optimiste que ma mère qui disait en entrevue qu’elle espérait qu’il se « déprogramme » [tout comme elle avait réussi à se libérer des idéologies qui dominaient jadis sa vie]. Mais je crois qu’il se nourrit des crédules, tel un vampire. Il jubile. »

La semaine dernière, Facebook a annoncé qu’il supprimait les pages, les comptes et les groupes liés au mouvement conspirationniste américain QAnon.

Ainsi, le compte d’Alexis Cossette-Trudel et celui de la chaîne qu’il a créée, appelée Radio-Québec ont été fermés.

Avant que la pandémie ne devienne le sujet principal de ses publications, Alexis Cossette-Trudel s’est fait connaître dans la francophonie en diffusant des dizaines de vidéos dédiées à QAnon.

Cette théorie allègue que Donald Trump a été désigné pour sauver la planète et faire emprisonner les membres d’un réseau de pédophiles dirigé par « la cabale », dont feraient partie Barack Obama, Bill Gates, Hillary Clinton et plusieurs célébrités qui ne partagent pas les politiques du président.

Alexis Cossette-Trudel a plusieurs fois fait des liens entre le premier ministre Justin Trudeau et la pédophilie, affirmant notamment que « tout le monde autour de Justin Trudeau baigne dans la pédophilie ».

Pas plus tard que ce lundi, il relayait sur Twitter des allégations de cette nature concernant le premier ministre.