Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a voulu frapper l’imaginaire des Québécois mardi en racontant l’histoire d’une coiffeuse de Thetford Mines qui était allée couper les cheveux de vieilles dames dans des résidences pour personnes âgées en se sachant infectée au coronavirus…

Tout le monde a sursauté.

Beaucoup de gens ont lancé des tomates virtuelles à cette femme anonyme. Moi aussi. Une coiffeuse qui se sait contagieuse et qui continue à coiffer des personnes âgées ? Vite, donnez-lui une place au Panthéon de la bêtise !

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

« Le gouvernement ne pourra pas corriger les relâchements de chaque Québécois. Mais les relâchements de la machine, de sa propre machine, c’est le travail du gouvernement de les corriger », écrit Patrick Lagacé. Ici, au premier plan, Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux, lors d’une conférence de presse sur la COVID-19.

Sauf que non. C’était pas vrai. La coiffeuse ne se savait pas malade.

Le ministre a fait une erreur de fait. Il a été mal informé. Mal informé par sa « machine ». Christian Dubé ne l’a pas nommée, mais dans le bout de Thetford, tout le monde a fini par savoir de qui il s’agissait…

Jeudi, en écoutant cette pauvre femme chez Paul Arcand, j’étais sans mots. Elle racontait combien elle faisait attention, toujours, combien elle respectait scrupuleusement les règles, sachant à quel point le virus était vicieux, combien les personnes qu’elle coiffe – dont sa propre mère – sont vulnérables…

Et combien sa vie a été chamboulée après qu’elle a été clouée au pilori par le ministre, même anonymement.

Le ministre Dubé a fait une erreur de fait. Il s’en est excusé en appelant directement la coiffeuse en question et il s’est excusé publiquement, c’était la chose à faire. Le mal est fait, bien sûr. L’erreur vient de la machine de la Santé : encore une fois, le dinosaure de la Santé informe mal un ministre…

Mais j’ai cru Christian Dubé. Je me suis dit : si le ministre de la Santé lance ça en pleine conférence de presse, c’est que sa machine l’a bien informé, que l’information a été validée, vérifiée et contre-vérifiée…

Oups, non. Il y a eu une erreur, boss…

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Il y a donc l’erreur de fait du ministre. Mais il y a peut-être une plus grosse erreur encore, ailleurs. Une erreur d’appréciation.

M. Dubé voulait capter notre attention, il voulait faire passer un message. Il a donné des exemples précis, individuels. On comprend l’intention : notre salut collectif passe par la discipline individuelle…

Je suis d’accord. C’est vrai.

Mais je doute du bien-fondé de la stratégie de la désignation de boucs émissaires – même anonymes – par nos chefs politiques.

L’erreur de Christian Dubé, elle est peut-être dans la décision de publiciser des cas semblables.

Est-ce si utile ?

J’en doute.

J’en doute parce que ça fait six mois que nous sommes dans ce spleen pandémique. Si la montée des cas ne nous convainc pas, si les rappels à l’ordre du PM lui-même ne suffisent pas, si les codes de couleur ne nous réveillent pas…

Rien n’y fera.

Le gouvernement fait ce qu’il peut pour frapper notre imaginaire, en technicolor. Je ne pense pas que cibler des coiffeuses va corriger les relâchements.

À partir de maintenant, c’est à nous d’agir, de relever la garde. Je m’inclus là-dedans. On doit tous faire plus attention : moyenne de 300 nouveaux cas quotidiens, ces derniers jours. Ça monte.

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L’histoire de la coiffeuse de Thetford a frappé l’imaginaire pendant un ou deux cycles de nouvelles. Mais cette histoire a aussi détourné l’attention de problèmes graves dans la réponse de la machine de la Santé à la pandémie, qu’on peut résumer en trois points :

1. D’inquiétants ratés au chapitre du dépistage (même si la capacité de tests est enfin augmentée, bravo). Pas partout, bien sûr : on me signale que ça va bien à Montréal. Mais à Québec, à Laval et sur la Rive-Sud, depuis une semaine, les histoires de cliniques de dépistage incapables de répondre à la demande se multiplient.

2. Des délais importants dans la communication des résultats aux personnes testées, ce qui force des gens à rester isolés pendant quatre, cinq ou six jours – bonjour la productivité…

3. Des difficultés tout aussi importantes dans les enquêtes épidémiologiques – le « traçage » de gens qui ont été en contact avec des personnes infectées : ces enquêtes sont capitales pour empêcher le virus de se propager, en incitant des gens potentiellement infectés à s’isoler.

La grosse histoire des derniers jours, c’est ça : ces ratés de la machine pilotée par Christian Dubé. Des ratés surprenants et inquiétants, sachant que la machine a eu l’accalmie estivale pour se préparer à un automne annoncé comme chaud.

En insistant aussi lourdement sur le relâchement des Québécois – et en insistant tout aussi lourdement sur des cas individuels –, le gouvernement détourne l’attention des cafouillages de sa propre machine…

C’est commode, je trouve.

Le gouvernement ne pourra pas corriger les relâchements de chaque Québécois. Mais les relâchements de la machine, de sa propre machine, c’est le travail du gouvernement de les corriger.

Et ça commence à presser.