Des études faites en accéléré, une entreprise qui interrompt ses tests pour des raisons de sécurité, Donald Trump qui ne cache pas son désir de voir un vaccin approuvé avant l’élection américaine du 3 novembre : faut-il craindre qu’un vaccin contre la COVID-19 potentiellement dangereux soit mis en marché trop rapidement pour des raisons politiques et économiques ?

Bien qu’ils soulignent que le risque zéro n’existe pas, les experts en vaccins incitent à garder la tête froide.

« Je ne suis pas inquiet. Je pense qu’il faut être vigilant, mais ce n’est pas le moment d’être inquiet. Au contraire, il faut être optimiste. On ne peut pas prévoir l’imprévisible, mais je pense que tout est fait dans les règles de l’art », répond Alain Lamarre, titulaire de la Chaire Jeanne et J.-Louis Lévesque en immunovirologie du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologies de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

« Il y a des préoccupations, particulièrement aux États-Unis, où ils veulent vraiment précipiter les choses et approuver un vaccin avant l’élection. En novembre, les tests de phase III ne seront pas terminés. Mais je pense que le risque concerne surtout le fait que les premiers vaccins pourraient ne pas être très efficaces. En matière de sécurité, les choses semblent raisonnables jusqu’à maintenant », dit Colin D. Funk, professeur émérite au département de sciences biomédicales et moléculaires de l’Université Queen’s, en Ontario.

Les tests de phase III sont les derniers avant la commercialisation et servent à mesurer l’efficacité du vaccin. Près d’une dizaine de vaccins contre la COVID-19 en sont déjà à cette étape. La Food and Drug Administration, l’équivalent américain de Santé Canada, a déjà fait savoir qu’elle pourrait approuver un vaccin d’urgence avant même que ces tests ne soient terminés.

Une étude interrompue

Mardi, la multinationale AstraZeneca, qui développe avec l’Université Oxford un vaccin contre la COVID-19 parmi les plus avancés au monde, a interrompu son essai de phase III parce qu’un participant est tombé malade après avoir reçu le vaccin expérimental. Selon le New York Times, le participant britannique souffre de myélite transverse, une inflammation de la moelle épinière.

Il n’est pas inhabituel que des études de cette taille soient interrompues et une enquête devra déterminer si le patient a été victime d’un effet secondaire grave du vaccin ou d’un problème de santé qui n’a rien à voir avec lui. L’étude en question visait le recrutement de 30 000 patients. AstraZeneca a promis de réexaminer toutes les données de sécurité concernant le candidat-vaccin.

AstraZeneca utilise un vecteur pour acheminer des instructions génétiques qui dictent aux cellules humaines de fabriquer certaines parties du virus SARS-CoV-2 qui cause la COVID-19. L’idée est de présenter ces « bouts » de virus au système immunitaire pour qu’il fabrique des défenses contre le vrai virus. Selon Colin D. Funk, il est possible que le système immunitaire du patient ait réagi de façon disproportionnée à l’adénovirus qui sert de vecteur, causant la myélite transverse.

Comme on a peu de détails, on ne peut que spéculer. Mais ces effets rares de type immunitaire-inflammatoire peuvent apparaître quand des milliers de patients reçoivent l’injection.

Colin D. Funk, professeur émérite au département de sciences biomédicales et moléculaires de l’Université Queen’s

« Je trouve rassurant le fait que le système semble fonctionner pour identifier ces cas et qu’il y ait un mécanisme en place pour rapidement intervenir afin d’assurer la sécurité des patients, commente de son côté Alain Lamarre. C’est le principe même des essais cliniques et ça semble fonctionner ici, même dans un contexte d’urgence face à la pandémie. »

Signe que la sécurité d’un éventuel vaccin contre la COVID-19 suscite l’inquiétude, neuf entreprises pharmaceutiques impliquées dans la course pour le vaccin ont publié une déclaration, cette semaine, dans laquelle elles promettent de demander une autorisation de commercialisation seulement si leur vaccin s’avère sécuritaire.

Les inquiétudes viennent de deux côtés. D’abord, le développement des vaccins contre la COVID-19 se déroule à une vitesse sans précédent. Les études de phase I visant à vérifier l’innocuité du vaccin ne sont pas encore terminées que les études de phase II, et même de phase III, sont lancées. Ensuite, plusieurs technologies testées sont nouvelles. C’est le cas des vaccins à ADN et à ARN, des techniques sur lesquelles ne repose encore aucun vaccin approuvé chez l’humain.

Ce sont des vaccins qui sont très prometteurs, mais pour lesquels on n’a pas beaucoup de recul.

Alain Lamarre, titulaire de la Chaire Jeanne et J.-Louis Lévesque en immunovirologie

Qu’est-ce qui pourrait clocher ? Avant de répondre, le professeur Lamarre tient à préciser qu’aucun vaccin n’est à 100 % exempt d’effets secondaires et que son utilisation repose sur un calcul entre les risques et les bénéfices qu’ils apportent. « La vaccination est effectuée depuis plus de 100 ans et les effets positifs surpassent de façon très, très, très importante les risques », rappelle-t-il. Précisons que chaque jour qui passe sans vaccin contre la COVID-19 entraîne le décès de milliers de personnes sur la planète. Le seuil des 900 000 morts a d’ailleurs été franchi, mercredi.

Colin D. Funk explique qu’au début, la principale préoccupation concernait un effet appelé « facilitation de l’infection par des anticorps ». Cela aurait fait en sorte que chez certaines personnes, le vaccin, loin de protéger, aurait pu aggraver la maladie. « Aujourd’hui, ça semble écarté », commente-t-il.

En théorie, il existe un risque que les acides nucléiques des virus à ADN et à ARN s’intègrent à notre génome, ce qui pourrait causer des cancers. Mais cela n’a pas été observé sur les animaux et les humains qui ont reçu les différents vaccins expérimentaux, et le professeur Lamarre parle d’un risque « théorique ».

« Ce risque est vraiment minimal », estime aussi Colin D. Funk. Selon lui, ce sont les réactions exagérées du système immunitaire qu’il faut surveiller en particulier. Son collègue Alain Lamarre rappelle que les tests sont justement là pour détecter d’éventuels effets de ce type, et que les agences réglementaires comme Santé Canada agissent en rempart avant la commercialisation.