C’est parti : la course à l’approvisionnement pour un éventuel vaccin contre la COVID-19 est lancée. Plusieurs pays misent déjà sur les meilleurs candidats en signant des ententes leur garantissant des millions de doses contre des milliards de dollars si ces vaccins s’avéraient à la fois efficaces et sécuritaires.

Le Canada, pendant ce temps, se fait trop discret aux yeux d’Amir Attaran, professeur à la faculté de droit et à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa. Dans un texte publié sur le site web de la revue Maclean’s, le professeur dénonce l’inaction du gouvernement Trudeau dans ce dossier.

« Se retrouver en queue de file signifie qu’on pourra peut-être quémander quelques vaccins à la hâte pour nos travailleurs de la santé et les plus vulnérables, mais pour les Canadiens ordinaires, prévoyez attendre », écrit-il.

Les États-Unis, eux, semblent vouloir éviter de mettre tous leurs œufs dans le même panier. Ils ont misé sur au moins six candidats-vaccins, signant des ententes totalisant 10,79 milliards US.

Ensemble, ces ententes concernent la livraison de plus de 800 millions de doses aux États-Unis, avec des options totalisant plus de 1 milliard de doses supplémentaires.

L’Union européenne et le Royaume-Uni ont aussi signé des ententes portant sur des centaines de millions de doses.

Le Canada n’est pas inactif. Le 5 août, il a annoncé deux ententes avec les entreprises Moderna et Pfizer, qui développent toutes deux des candidats-vaccins contre la COVID-19. Le Canada refuse toutefois de révéler le montant des ententes et le nombre de doses concernées.

« L’affirmation selon laquelle le Canada n’a pas accès aux vaccins est absolument fausse. […] J’ai hâte d’informer les Canadiens de nos progrès au cours des prochains jours en ce qui concerne l’approvisionnement en vaccins et le nombre de doses que nous avons obtenues. Nous devons aux Canadiens d’explorer toutes les options en matière de vaccins, et c’est exactement ce que nous continuerons à faire », a affirmé Anita Anand, ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, dans un courriel acheminé à La Presse.

« Une catastrophe »

Marc-André Gagnon, spécialiste des politiques pharmaceutiques à l’Université Carleton, n’aime pas du tout cette ruée vers les vaccins qui s’observe depuis quelques semaines. « C’est une catastrophe. Ce n’est pas du tout la façon idéale d’essayer d’organiser l’accès à un vaccin potentiel », juge-t-il.

Il rappelle que le Canada et les autres pays possèdent un outil légal qui aurait permis de profiter des avancées des vaccins contre la COVID-19 en temps d’urgence : les licences obligatoires. Une licence obligatoire permet aux gouvernements de fabriquer sous licence un produit, même si aucune entente commerciale n’a été conclue avec le titulaire du brevet.

Le 25 mars, la Loi concernant certaines mesures en réponse à la COVID-19 a autorisé l’utilisation de telles licences au Canada jusqu’au 30 septembre prochain. Le professeur Gagnon aimerait qu’elle soit prolongée. Comme le Canada possède une certaine capacité de fabrication de vaccins, notamment du côté du Conseil national de recherches Canada (CNRC), cela pourrait permettre de fabriquer ici des doses du ou des éventuels vaccins qui se montreraient efficaces contre la COVID-19. Le professeur Amir Attaran plaide également pour que le Canada négocie des accords de licence et fabrique des vaccins sur le sol canadien.

Il paraît toutefois évident que le Canada n’a pas la capacité de fabriquer les dizaines de millions de doses qui s’avéreront sans doute nécessaires pour vacciner l’ensemble des Canadiens contre la COVID-19.

Le pays devra alors se battre sur les marchés pour obtenir les doses de vaccin manquantes.

« Le Canada n’aura effectivement peut-être pas le choix d’embarquer dans cette dynamique afin de se protéger », admet Marc-André Gagnon, qui y voit alors trois conditions. D’abord, que les ententes conclues avec les fabricants de vaccins soient transparentes, ce qui n’est pas le cas de celles signées avec Moderna et Pfizer. Ensuite, que le Canada ne sécurise d’abord que les doses nécessaires aux travailleurs essentiels et aux populations vulnérables afin de laisser des doses aux autres pays. Finalement, qu’il contribue à l’effort au lieu de simplement se servir en mettant à profit sa capacité de fabrication de vaccins.

Collaboration chinoise interrompue

Le Canada croyait s’être assuré de l’accès potentiel à l’un des vaccins parmi les plus avancés du monde en signant une entente avec l’entreprise chinoise CanSino Biologics. Selon cette entente, ce vaccin, qui est basé sur une technologie canadienne, devait être testé au Canada. En cas de succès, il devait être fabriqué dans les installations montréalaises du CNRC.

Le journal National Post a toutefois révélé que ce projet était sur la glace. Trois mois après l’annonce, les tests n’ont pas commencé au Canada puisque les chercheurs n’ont jamais reçu les échantillons de vaccin provenant de la Chine. Les tensions diplomatiques entre les deux pays sont soupçonnées d’avoir fait dérailler le projet. Il n’a pas été possible, mardi, d’obtenir des informations du CNRC sur la question.

Groupes dont les candidats-vaccins contre la COVID-19 ont entamé la troisième phase

Moderna

Sinovac

AstraZeneca et Université Oxford

BioNTech/Fosun Pharma/Pfizer

Wuhan Institute of Biological Products/Sinopharm

Beijing Institute of Biological Products/Sinopharm

CanSino Biologics/Bejing Institute of Biotechnology

Murdoch Children’s Research Institute

Ententes signées par les États-Unis

10,79 milliards US au total, dont :

1,525 milliards US à Moderna pour 100 millions de doses 

2,1 milliards US à GlaxoSmithKline et Sanofi pour 100 millions de doses, avec option pour 500 millions de doses de plus

1 milliard US à Janssen, division vaccins de Johnson & Johnson, pour 100 millions de doses, avec option pour 200 millions de doses de plus

195 millions à Pfizer et BioNTech pour 100 millions de doses, avec option pour 500 millions de doses de plus

1,6 milliard à Novavax pour 100 millions de doses

1,2 milliard à AstraZeneca pour 300 millions de doses

Ententes de l’Union européenne

Entente avec AstraZeneca pour 300 millions de doses, avec option pour 100 millions de doses de plus

« Pourparlers avancés » avec Moderna pour 160 millions de doses

Entente avec Sanofi et GlaxoSmithKline pour 300 millions de doses

Ententes du Royaume-Uni

100 millions de doses avec AstraZeneca

30 millions de doses avec Janssen

30 millions de doses avec BioNTech (qui travaille avec Pfizer)

60 millions de doses avec Valneva

60 millions de doses avec Novavax

60 millions de doses avec Sanofi et GlaxoSmithKline

Ententes du Canada

Ententes avec Moderna et Pfizer pour un nombre inconnu de doses