(Québec) En dépit de la pandémie, la prostitution juvénile n’a pas été mise sur pause au Québec. La COVID-19 s’est invitée dans le monde prostitutionnel, modifiant le comportement des clients et augmentant le stress des victimes, ont pu apprendre lundi les membres de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs.

« Si plusieurs ont pu s’imaginer qu’en période de pandémie […] [la prostitution] a été mise sur pause, je dois vous avouer que les échos du terrain qu’on a entendus, c’est : absolument pas », a lancé le député caquiste Ian Lafrenière, qui préside les travaux de cette commission transpartisane.

Alors que leur rapport est attendu pour l’automne, les parlementaires ont voulu ajouter une dernière journée d’audiences pour s’intéresser aux effets de la COVID-19 sur le milieu prostitutionnel. « Pendant une petite période, il y a un temps que l’on pourrait appeler de black-out », a poursuivi M. Lafrenière.

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Le député caquiste Ian Lafrenière, président de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs

Le recours à la prostitution juvénile a donc été freiné en tout début de pandémie, mais a repris depuis, a constaté le milieu. S’il est difficile d’avoir des données précises sur l’ampleur du phénomène en temps ordinaire, c’est encore plus ardu d’avoir un portrait de la situation dans le contexte de la pandémie. Chose certaine, la crise sanitaire a provoqué des changements dans l’industrie, ont rapporté les intervenants.

Selon Dominic Monchamp, enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal, le nombre d’arrestations et de mises en accusation est « pratiquement exactement » le même que l’année dernière. « On a senti une contraction du marché, c’est-à-dire une demande qui a diminué de façon marquée », a-t-il affirmé.

« Ça a eu un impact sur le prix. Il y a eu une augmentation des demandes pour des relations non protégées puisque devant moins de demandes, ceux qui avaient à le faire par besoin ou par exploitation devaient ramener les mêmes montants. Ils ont été exposés à ce genre de négociations là. C’est ce qui nous a été rapporté. »

Services sexuels en ligne

M. Monchamp a aussi expliqué que la pandémie avait entraîné « une prolifération » de l’offre de services sexuels virtuels, ce qui, à son avis, pourrait demeurer après la crise sanitaire. « Ça a amené une diversification des rentrées pour [les trafiquants et les exploiteurs] », a ajouté l’enquêteur.

Paul Laurier, ex-policier spécialisé en cyberenquêtes, a quant à lui constaté qu’il y avait eu « une baisse marquée de l’offre » sur les sites d’escortes pour une rencontre à l’extérieur. Il a aussi noté l’apparition de la catégorie « SAVE », le pictogramme d’un virus lorsque vient le temps de choisir une fille.

La fermeture des hôtels et des salons de massage a aussi eu une incidence sur le monde prostitutionnel en entraînant « une demande accrue » pour l’offre de service par l’entremise de la plateforme Airbnb et dans les résidences privées.

L’annulation des grands évènements, comme le Grand Prix de Montréal, a pu également avoir une incidence ponctuelle à la baisse, mais le député Ian Lafrenière a tenu à apporter des nuances.

« On peut se dire que c’est les grands évènements […], mais, attendez-là, c’est dans le quotidien », a-t-il affirmé. Ce qui « a pu changer la donne » au début de la pandémie, c’est le télétravail, a soutenu l’ancien policier. M. Lafrenière explique que « les hommes et les femmes qui voyageaient pour aller travailler […] n’avaient plus cette excuse-là […] pour aller chercher un service sexuel ».

La crise sanitaire a aussi eu pour effet d’augmenter le niveau de stress des victimes de l’exploitation sexuelle, qui avaient peur d’être infectées par la maladie. Les retards et les suspensions de dossiers dans le système judiciaire à cause de la pandémie ont aussi contribué à augmenter la détresse des plaignantes.

Créée en juin 2019, la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs a amorcé ses travaux en novembre dernier. Elle a entendu environ 70 témoins et reçu une soixantaine de mémoires d’experts, de groupes d’intervention, d’organismes et de corps policiers de la province.

Elle doit établir un portrait de l’exploitation sexuelle des mineurs au Québec et déterminer les mesures qui pourraient renforcer l’efficacité de la lutte contre la prostitution juvénile et soutenir les victimes. Une partie des travaux s’est déroulée à huis clos. Le rapport de la Commission est attendu à l’automne.