Un Québécois sur trois ne sera pas pressé de se faire immuniser contre la COVID-19 si un éventuel vaccin était un jour offert, révèle une étude de la maison CROP réalisée la semaine dernière pour La Presse. Les parents interrogés par le sondeur sont également nombreux à lui avoir confié leur inquiétude par rapport à la rentrée scolaire.

Des craintes face au vaccin... et à la rentrée

Méfiants

Malgré les discours rassurants de la communauté scientifique quant à la rigueur avec laquelle les vaccins sont conçus au XXIsiècle, les Québécois ne feront pas tous la file devant les cliniques pour se faire piquer. C’est du moins ce qu’indique une étude de la maison CROP réalisée la semaine dernière auprès de 1000 internautes de la province. De ce nombre, 35 % ont affirmé vouloir attendre avant de se faire vacciner et 15 % ont dit qu’ils refuseraient le vaccin. Ces derniers sont « surtout des gens de 35-54 ans. C’est probablement des gens qui n’ont jamais été vaccinés pour la grippe depuis leur jeunesse et qui n’en sentent pas le besoin », a expliqué Dominic Bourdages, vice-président chez CROP.

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Pas d’altruisme

La méfiance envers un éventuel vaccin dépendrait de l’âge, mais aussi d’autres facteurs. Ainsi, les adultes de 55 ans et plus seraient significativement plus pressés de se faire inoculer le vaccin que la moyenne, alors que la tendance contraire s’observe chez les répondants âgés de 18 à 54 ans. Mais ce n’est pas tout : plus un répondant a atteint un niveau de scolarité élevé et plus il a un revenu élevé, plus il risque de vouloir se faire vacciner rapidement. Les motivations des uns et des autres ne sont pas altruistes : ceux qui veulent être immunisés le feraient d’abord « pour [se] protéger de la COVID », alors que les autres voudraient « attendre de voir les effets négatifs ».

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« Faire les gestes qu’il faut »

Tout de même, souligne Dominic Bourdages : si on additionne les répondants pressés et peu pressés de se faire vacciner, le sondage suggère que 75 % des Québécois sont prêts à se faire vacciner. « On entend beaucoup parler des minorités qui parlent très fort : celles qui sont contre le port du masque, celles qui sont contre plein de choses. Mais dans les faits, quand on observe l’attitude des Québécois, la grande majorité a bien assimilé les messages et fait contre mauvaise fortune bon cœur », a-t-il dit. « Ils se disent qu’ils vont faire les gestes qu’il faut pour s’en sortir le plus vite possible. Sans être une inquiétude maladive, la prise de conscience est là. »

Des parents inquiets

Ce n’est pas seulement le vaccin qui soulève des doutes dans l’esprit des Québécois : les parents interrogés par le sondeur CROP sont nombreux à lui avoir confié leur inquiétude par rapport à la rentrée scolaire. L’étude révèle que 56 % des parents québécois se disent « peu ou pas informés » sur la façon dont les premiers jours d’école se dérouleront. Dans la même proportion, ils se disent « assez » ou « très » inquiets par rapport à cette période. « Comme parents, on est toujours un peu mère poule ou père poule. On se soucie de nos enfants, on a une responsabilité, donc forcément la tolérance à l’incertitude peut être moins grande », a dit M. Bourdages, qui souligne toutefois qu’il est maintenant de commune renommée que les enfants sont moins touchés par la COVID-19.

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Surtout à Montréal

Comme les Montréalais sont les plus à risque d’être infectés par le coronavirus, ce sont eux qui sont les plus inquiets pour leurs enfants : 40 % des répondants habitant dans la métropole se sont dits « très inquiets ». Cela reflète aussi le gouffre dans la population générale, alors que 69 % des Montréalais sont inquiets d’attraper eux-mêmes la COVID-19, suggère le sondage. À Québec, par exemple, ce chiffre chute à 44 %. « Depuis le début, la crise de la COVID-19, c’est une réalité très montréalaise. [Les Montréalais] ont été les premiers à adopter le masque sans trop rechigner », a décrit Dominic Bourdages. « Montréal se comporte différemment du reste du Québec. […] Si tu habites à Baie-Comeau, les chances que la COVID-19 teinte ta journée sont plus faibles. »

Appui croissant au masque

Par ailleurs, les manifestations contre le port obligatoire du masque ne semblent pas avoir convaincu bien des Québécois, au contraire. Ils seraient moins nombreux que jamais à s’y opposer : seulement 11 % de la population estime que le masque ne devrait pas être obligatoire, suggère le sondage, comparativement à 14 % le mois dernier. La proportion de répondants appuyant l’idée a augmenté de la même façon : elle est passée de 76 à 79 %. Cela est peut-être lié à la facilité de porter le masque : trois répondants sur quatre ont indiqué qu’il était aussi ou plus confortable que ce à quoi ils s’attendaient.

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Théories du complot

Si elles ne convainquent pas la population de rejeter le port du masque, les idées de ces militants font tout de même du chemin : 35 % des répondants croient que les médias traditionnels répandent de fausses nouvelles sur la COVID-19, alors que 18 % croient savoir que la maladie « a été créée par les gouvernements pour nous contrôler ». « Les fameuses théories du complot, c’est ce qu’il y a de plus triste. Le plus décevant, c’est de voir jusqu’à quel point beaucoup de gens y adhèrent », a dit Dominic Bourdages, de CROP. « Il commence à y avoir un certain momentum pour ces choses-là. Ça provient beaucoup de l’incertitude, du fait que les informations changent, du fait que l’on bâtit l’avion pendant qu’il vole, comme disait le gouvernement. »

> Consultez le sondage CROP

Méthodologie

Le sondage de CROP a été mené du 14 au 16 août dernier auprès de 1000 répondants âgés de 18 ans et plus. « Les résultats ont été pondérés afin de refléter la distribution de la population à l’étude selon le sexe, l’âge, la langue maternelle et la scolarité des répondants », indique la maison de sondage. « Notons que, compte tenu du caractère non probabiliste de l’échantillon, le calcul de la marge d’erreur ne s’applique pas. »

Mouvement anti-vaccin : un risque pour l’immunité collective, disent les scientifiques

Le fait que 15 % des Québécois affirment vouloir refuser un éventuel vaccin contre la COVID-19 s’il était un jour offert pourrait compromettre l’immunité de groupe nécessaire à éradiquer la maladie. C’est ce qu’affirment les scientifiques au moment où la question de la vaccination obligatoire suscite des débats dans diverses régions du monde.

Un sondage CROP mené par l’entremise d’un panel web auprès de 1000 répondants suggère que 15 % des Québécois refuseraient un vaccin contre la COVID-19 si celui-ci était offert. Seulement 40 % des Québécois disent qu’ils se feraient vacciner « dès que possible », alors que 35 % « attendraient un peu » avant de le faire.

PHOTO THIBAULT SAVARY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un sondage CROP-La Presse mené par l’entremise d’un panel web auprès de 1000 répondants suggère que 15 % des Québécois refuseraient un vaccin contre la COVID-19 si celui-ci était offert.

« C’est sûr que plus il y a de gens qui disent non, moins on a de chances d’atteindre notre seuil qui ferait en sorte que la maladie arrêterait de se transmettre », explique Caroline Quach, pédiatre, microbiologiste-infectiologue et épidémiologiste, responsable de l’unité de prévention et contrôle des infections au CHU Sainte-Justine.

Le chiffre est encore entouré d’incertitude, mais les scientifiques estiment qu’environ 70 % de la population doit être immunisée contre la COVID-19 pour que le virus cesse de se propager. À partir de ce seuil, le virus peine à trouver de nouvelles cibles à infecter et l’épidémie finit par mourir. En principe, les réticences envers le vaccin ne devraient donc pas être suffisantes pour empêcher l’immunité collective.

Dans les faits, plusieurs autres facteurs viennent toutefois nuire à l’immunité collective, si bien que le mouvement antivaccin pourrait être la goutte de trop qui empêcherait d’atteindre la cible. La Dre Quach rappelle que ce n’est pas tout le monde qui pourra se faire vacciner. Il est possible, par exemple, qu’un éventuel vaccin ne convienne pas aux jeunes enfants et à ceux qui souffrent de certaines affections médicales.

Même si tout le monde voulait recevoir le vaccin, on risquerait d’être plus près de 70 % de gens vaccinés que de 100 % en considérant ceux qui ne peuvent le recevoir.

La Dre Caroline Quach, responsable de l’unité de prévention et contrôle des infections au CHU Sainte-Justine

Il faut ajouter à cela qu’aucun vaccin n’est efficace à 100 %. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la plupart des vaccins administrés aux enfants sont efficaces dans une plage allant de 85 % à 95 %. Caroline Quach estime même probable qu’un futur vaccin contre la COVID-19 puisse éliminer les formes graves de la maladie, mais ne pas empêcher les gens asymptomatiques d’excréter et de transmettre le virus.

Il y a aussi le fait que les gens immunisés doivent être répartis uniformément dans la population pour pouvoir freiner efficacement la propagation de la maladie. Des poches de gens non vaccinés peuvent maintenir le virus en vie et favoriser les éclosions. Anne Gatignol, professeure-chercheuse en microbiologie au département de médecine de l’Université McGill, estime qu’il est bien difficile d’estimer quelle adhésion au vaccin conduirait à une immunité collective.

Je n’ai pas de réponse simple. D’une part, les intentions de vaccination peuvent varier rapidement. D’autre part, cela va dépendre de l’efficacité du vaccin, et on ne sait pas de quel taux d’immunisation on a besoin pour éteindre l’épidémie.

La Dre Anne Gatignol, professeure-chercheuse en microbiologie au département de médecine de l’Université McGill

Débats sur la vaccination obligatoire

Face à la résurgence des cas de COVID-19 dans de nombreuses régions du monde, la question de la vaccination obligatoire suscite maintes discussions, même si aucun vaccin n’a encore démontré son efficacité. En Australie, le premier ministre, Scott Morrison, a d’abord affirmé mercredi qu’un vaccin contre la COVID-19 serait obligatoire, avant de se rétracter. Les voyageurs et les Australiens qui rentrent au pays pourraient toutefois se le voir imposer.

Aux États-Unis, des sondages montrent que jusqu’au tiers des Américains pourraient refuser un éventuel vaccin contre la COVID-19. Mais le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases, le DAnthony Fauci, a écarté l’idée de la vaccination obligatoire.

« On ne peut pas obliger ou tenter de forcer les gens à se faire vacciner, nous ne l’avons jamais fait », a déclaré le DFauci lors d’un échange vidéo organisé par l’Université George Washington.

Au Québec, l’article 123 de la Loi sur la santé publique permet aux autorités, en état d’urgence sanitaire, « d’ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ». En avril, Ewan Sauves, attaché de presse du premier ministre François Legault, n’a pas exclu cette option, tout en précisant qu’il était prématuré d’en discuter. La Presse n’a pas réussi à obtenir de nouveaux commentaires à ce sujet de la part du gouvernement.

La Dre Caroline Quach estime quant à elle que la vaccination obligatoire serait contre-productive.

« Quand on rend quelque chose obligatoire, surtout un geste comme la vaccination où l’on injecte quelque chose, ça fait ressortir des craintes de contrôle, dit-elle. Alors qu’on est souvent capable d’atteindre les mêmes objectifs en discutant, en transmettant les données et les connaissances. »

Payer les gens pour se faire vacciner ?

Aux États-Unis, Robert E. Litan, associé à la Brookings Institution, a lancé une idée pour le moins originale : offrir 1000 $US à tous les citoyens américains qui accepteraient de se faire vacciner contre la COVID-19. Il s’agit, selon lui, de la seule façon d’atteindre le seuil d’immunité collective. Une telle mesure coûterait 275 milliards US si 80 % de la population américaine s’en prévalait – une somme, plaide M. Litan, inférieure à celle des impacts que causerait la persistance de la COVID-19.

> Lisez les arguments de Robert E. Litan