« Cr**** de masque… »

C’est ce que je me dis, au moins une fois par jour, depuis qu’il est obligatoire. Quand il ne l’était pas, je le portais la plupart du temps, sans en faire une maladie (oups !), je veux dire que je ne revenais pas le chercher à la maison si je découvrais l’avoir oublié en arrivant chez Metro.

« Cr**** de masque… »

J’en laisse dans l’auto, dans mon sac à dos, dans mes poches de jeans, j’en ai même attaché au fond de mes boxers, c’est bien pour dire…

PHOTO TIRÉE DU SITE DU JOURNAL LE SOLEIL

Manifestation contre le port du masque en Beauce

Je peste aussi contre le masque quand je me cogne le pied sur un objet inanimé que j’ai raté parce que le masque a créé un angle mort vertical dans mon champ de vision… Et ça, c’est une fois aux deux jours.

Mais je le mets. Et je comprends pourquoi il faut le mettre. Même si c’est irritant.

Je ne suis pas le seul à m’être résigné au masque : 77 % des Québécois sont en faveur du port du masque dans les endroits publics en ces temps de pandémie. C’est une écrasante majorité.

Pourtant, à regarder la couverture médiatique et à se perdre dans les réseaux sociaux, on pourrait croire qu’il y a une sorte de « débat » sur le masque obligatoire au Québec, tellement les anti-masques sont présents, vociférants, bruyants.

Les plus virulents anti-masques forment 14 % de nos concitoyens. Ce qui pose la question, pour ma tribu médiatique : pourquoi on couvre leurs singeries, comme leurs manifs ?

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C’est un reflet de l’époque, je le crains : ceux qui crient fort, même s’ils tiennent des positions marginales, attirent l’attention. Et l’attention qu’on génère en 2020 est une sorte de monnaie qui peut acheter beaucoup d’espace dans les débats publics modernes.

Ça donne une vision tronquée du réel. Voyez les efforts des arrondissements de Montréal pour favoriser les déplacements actifs et la vie de quartier. On l’a vu dans le Plateau Mont-Royal, quand l’ex-maire Luc Ferrandez était décrié d’un bout à l’autre du Québec pour ses rues à sens unique, ses pistes cyclables, ses cases de stationnement supprimées. On aurait pu croire, à entendre ses détracteurs, que ces mesures étaient aussi populaires que l’Ebola. Ferrandez était pourtant réélu avec des majorités chaque fois plus imposantes…

Voyez l’épisode du blackface qui a plombé la campagne de Justin Trudeau aux élections de l’automne 2019. Les photos du PM au visage maquillé en Noir et en Indien, exhumées de sa jeunesse, ont provoqué un raz-de-marée de taloches dans les cercles progressistes numériques et dans le commentariat médiatique de gauche…

Un sondage est apparu au plus fort de la crise, et on apprenait ceci : 75 % des Canadiens disaient ne pas avoir été offensés par ces révélations (1). Chez les Canadiens dits racisés, la proportion montait à… 80 %.

Décalage, vous dites ? Le réel est têtu, parfois.

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Je les vois donc aller, les anti-masques. Je les vois se faire arrêter par les flics devant des comptoirs de beignets, à singer parfaitement ce qui s’y vend.

Je les vois dénoncer la fin de la démocratie dans des manifs où la police de Montréal ne les arrête pas pour des entorses flagrantes aux règles sanitaires en vigueur.

Je les vois faire des vidéos dans leurs chars – ce mode de communication qui indique invariablement un bel équilibre psychique –, beaucoup trop choqués pour la situation, tellement choqués que tu te demandes comment ils font pour ne pas faire pipi dans leurs bermudas…

Et chaque fois que je vois un délire anti-masque, je me pose toujours la même question : est-ce une maladie mentale ?

J’ai fini par poser la question à un psychiatre de ma connaissance, qui préfère ne pas être identifié pour éviter de se faire accuser de poser des diagnostics à distance, ce qu’il ne veut bien sûr pas faire…

Réponse : « Ce sont des oppositionnels. On est plus dans la psychologie que dans la psychiatrie, je te dirais. Il existe des gens qui s’opposent à tout et à tout le monde. Des gens qui ont tendance à mettre en doute l’intégrité des autres, en cas de désaccord… »

Pour la personne qui tombe dans l’anti-masque, poursuit le doc, la réalité est ce qui est devant eux, c’est ce qu’ils peuvent voir, toucher, point. C’est du premier degré pur, une absence totale de nuance, de gris.

« Si personne dans leur entourage n’a contracté le coronavirus, pour eux, c’est évident : ce n’est donc pas grave… Mon expérience de ce type de personnes, c’est qu’ils ont vécu des humiliations dans la vie. Ce ne sont pas des gens qui ont un grand pouvoir sur leur vie. S’opposer, et ici s’opposer au masque, c’est une forme de reprise de pouvoir sur leur vie… »

Les enragés anti-masque rappellent au médecin les mots du polymathe italien Umberto Eco : « Les réseaux sociaux donnent le droit de parler à des légions d’imbéciles qui ne parlaient auparavant qu’au bar après un verre de vin, sans nuire à la communauté. Ils étaient immédiatement réduits au silence, alors qu’ils ont désormais le même droit de parole qu’un Prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles… »

Ces mots, qui circulent sur les réseaux sociaux (!) sous forme de mème, sont célèbres. Umberto Eco les a prononcés lorsqu’il a reçu un (autre) doctorat honorifique en 2015, peu avant sa mort…

Une autre partie du discours de l’auteur du Nom de la rose est moins célèbre, mais permettez que je cite (2) : « La télé avait promu l’idiot du village contre qui le spectateur se sentait supérieur. Le drame d’Internet, c’est qu’il a promu l’idiot du village porteur de vérité… »

Et j’ai enfin compris pourquoi, contre toute logique, nous, les médias, continuons à couvrir les singeries des idiots du village.

1. Relisez la chronique « Œil au beurre noir »

2. Lisez le discours d’Umberto Eco