Des centaines d’enfants montréalais ont été des victimes collatérales — et silencieuses — de la pandémie. Non seulement les signalements à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ont-ils diminué de près du tiers par rapport à la même période l’an dernier sur le territoire montréalais, selon une étude réalisée par une équipe de chercheurs de l’Université de Montréal, mais une analyse plus fine montre également que ce sont les sévices physiques, donc les enfants battus, pour lesquels les signalements ont le plus diminué : la baisse se chiffre à 60 %.

« Ce sont les abus physiques et la négligence qui sont passés sous le radar à Montréal pendant la pandémie. Ce sont des situations qu’on échappe actuellement, à cause du confinement », résume Denis Lafortune, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal.

L’étude a été réalisée par une équipe de chercheuses, Delphine Collin-Vézina, Marie-Noële Royer et Véronique Noël. Elles ont comparé le nombre et la nature des signalements reçus de la mi-mars à la fin de mai 2020 aux mêmes données recueillies en 2019. Cette première étape de l’étude se concentre sur le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, où les ressources de la DPJ sont regroupées pour tout le Montréal francophone, mais on vise à l’étendre à l’échelle du Québec.

Pour la période étudiée, 1647 signalements ont été reçus par le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, contre 2473 l’an dernier. La baisse se chiffre donc à 33 %. Les taux de signalement ont été particulièrement bas au début de la pandémie, de la mi-mars à la mi-avril. En temps normal, la DPJ de Montréal reçoit en moyenne 225 signalements par semaine, alors qu’au cours de ces quatre semaines, on en était environ à 125 signalements hebdomadaires. Les taux de signalement ont par la suite légèrement remonté, à 150 par semaine.

Effet « sans équivoque » de la fermeture des écoles

Mais c’est lorsque les chercheurs ont examiné les motifs de compromission qu’ils ont fait la découverte la plus crève-cœur. Ce sont les situations de sévices, d’« abus physiques » — les enfants battus — pour lesquelles la baisse de signalements est la plus dramatique : elle atteint les 60 %. En effet, alors que 607 enfants ont été signalés au printemps 2019 pour abus physique, seulement 241 l’ont été pour la même période en 2020. « Cela représente une moyenne de cinq enfants de moins signalés chaque jour à Montréal », notent les chercheurs. L’écart est le plus marqué pour les garçons de 6 à 11 ans, où les signalements à la DPJ pour « abus physiques » ont chuté de 78 %.

Pour la négligence, on parle d’une baisse de 40 % des signalements et pour les troubles du comportement (fugues, vandalisme, prise de drogue), la baisse se chiffre à 52 %. La diminution des signalements est également notable pour les sévices sexuels (« abus sexuels »), à 30 %. « Cela touche davantage les filles, et encore davantage les adolescentes, avec une baisse de 47 % », soulignent les chercheurs.

Cette baisse marquée dans les signalements est causée, en bonne partie, par la diminution des signalements en provenance des écoles. En 2019, pour la période de la mi-mars à la fin de mai, 788 signalements étaient issus du milieu scolaire. En 2020, en pleine pandémie, seuls 129 signalements sont issus des écoles, qui étaient fermées en raison de la COVID-19. La baisse se chiffre donc à 84 %.

« Le confinement a eu pour effet de diminuer grandement le soutien que l’école est en mesure d’apporter aux enfants les plus vulnérables, soulignent les chercheurs. Le portrait des signalements reçus pendant la fermeture complète des écoles est sans équivoque. » Ils ajoutent qu’il est très peu probable que les situations de maltraitance aient réellement diminué ; au contraire, elles seraient plus susceptibles de se produire.

Les signalements faits par des policiers sont également en diminution, passant de 729 l’an dernier à 629 cette année. En revanche, les signalements provenant du réseau de la santé sont à peu près stables. « S’il y a une bonne nouvelle dans cette étude, c’est celle-là. Les signalements en provenance du réseau n’ont pas diminué », dit Denis Lafortune.

Faut-il donc s’attendre à une explosion des signalements lors de la réouverture des écoles montréalaises, en septembre ? « On anticipe une hausse marquée en septembre. Ça va remonter, c’est certain », dit Denis Lafortune. Le groupe de chercheurs poursuivra cette « vigie COVID-19 » avec la DPJ au cours des 10 prochains mois.