Au moment où le réseau de la santé se prépare à affronter une éventuelle deuxième vague de COVID-19, des voix s’élèvent pour demander que les hôpitaux universitaires soient moins sollicités pour traiter les patients atteints de la maladie et puissent continuer de réaliser des interventions complexes, comme des opérations cardiaques, des soins en cancérologie et des greffes. Une demande qui ne fait pas l’unanimité.

Durant la première vague de la pandémie, les patients atteints de la COVID-19 ont été soignés dans plusieurs hôpitaux universitaires, notamment à l’Hôpital général juif, au CUSM, au CHUM, à l’hôpital du Sacré-Cœur et à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Chirurgienne en chef du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), la Dre Liane Feldman souligne que ces patients occupent des lits pendant des jours, limitant le nombre d’interventions non-COVID-19 pouvant être réalisées dans les hôpitaux. « Ça nous empêche de faire toutes nos tâches universitaires et nos activités tertiaires et quaternaires », dit-elle.

La Dre Feldman estime que « la majorité des patients [atteints de la COVID-19] ont besoin de soins primaires et secondaires » et que d’autres hôpitaux du réseau seraient en mesure de soigner ces patients. La Dre Feldman s’inquiète notamment du fait que les médecins résidents, formés dans les centres hospitaliers universitaires, ont perdu de précieuses semaines de formation à cause de la COVID-19.

PHOTO FOURNIE PAR LE CUSM

On aimerait que le MSSS planifie différemment pour la deuxième vague.

La Dre Liane Feldman

PDG du CUSM, Pierre Gfeller reconnaît que la plupart des 500 patients COVID soignés au CUSM jusqu’à maintenant « n’avaient pas vraiment besoin de soins du niveau de ceux offerts par un centre hospitalier universitaire surspécialisé ». Mais il se dit « prêt à jouer un rôle dans une éventuelle deuxième vague de COVID-19 ».

Microbiologiste-infectiologue à l’Hôpital général juif, le DKarl Weiss reconnaît que les soins tertiaires et quaternaires ont été par trop hypothéqués par la première vague de COVID-19. Le manque de matériel est notamment en cause.

Mais pour lui, les centres universitaires « ne doivent pas se cacher et condamner les plus petits hôpitaux à soigner tous les cas de COVID-19 » si une deuxième vague frappe. Pour le DWeiss, les hôpitaux doivent créer des « silos » pour que les patients atteints de la COVID-19 puissent être soignés sans jamais croiser les patients non atteints et nuire le moins possible au fonctionnement normal des établissements.

À l’Hôpital général juif, on réfléchit par exemple à la mise sur pied d’un site non traditionnel pour soigner les patients atteints de la COVID-19. Seuls les patients ayant besoin de soins intensifs seraient soignés à l’hôpital. Le DWeiss souligne que s’il y a une deuxième vague, tous les hôpitaux devront de toute façon faire face à des patients devant être opérés d’urgence, par exemple pour une appendicite, et ayant la COVID. « Il faudra avoir une robustesse du système pour avoir deux silos parallèles », dit-il.

L’exemple de l’Institut de cardiologie

Durant la première vague de COVID-19, l’Institut de cardiologie de Montréal a été le seul établissement à être désigné « froid » dans la métropole et à n’hospitaliser aucun cas de COVID-19. Les ambulances y ont été dirigées dès le 4 avril. Des opérations cardiaques normalement réalisées dans d’autres hôpitaux y ont été pratiquées. Pour la Dre Feldman, cette stratégie a bien fonctionné et pourrait être reproduite dans d’autres centres lors d’une deuxième vague.

Mais la désignation de l’ICM en hôpital froid et le détournement strict d’ambulances qui en a découlé restent controversés. Urgences-santé note que chaque jour, jusqu’à six ambulances qui auraient normalement dû se rendre à l’ICM ont été forcées de transporter leur patient ailleurs.

« J’avoue qu’on a été surpris quand on a appris cette décision », affirme le porte-parole d’Urgences-santé, Stéphane Smith.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Ça crée un malaise parce que le patient est au cœur de nos actions. Mais le détournement est strict. Donc même un patient qui fait un arrêt cardiaque à un coin de rue ne pourra pas y être transporté.

Stéphane Smith

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on explique que « la décision de cesser les transports primaires vers l’Institut de cardiologie a été prise en début de pandémie pour éviter la contamination du seul hôpital considéré comme froid sur l’île de Montréal ». Les patients ambulatoires ont pu continuer de s’y présenter.

Chef du département de médecine d’urgence de l’ICM, le DAlain Vadeboncoeur explique que garder l’établissement froid visait à maintenir les activités en chirurgie cardiaque dans la région. « On a pris les cas des autres hôpitaux […] Si on regarde ça au niveau macro, je pense que c’était une bonne décision », dit-il.

Directeur médical par intérim à Urgences-santé, le DJocelyn Barriault reconnaît que la contribution de l’ICM au niveau des urgences n’est pas majeure. Mais pour lui, même en acceptant seulement quelques ambulances chaque jour, l’établissement aurait pu contribuer à mieux soutenir le réseau montréalais saturé. Les médecins interrogés dans le cadre de ce dossier soulignent d’ailleurs qu’un tel détournement d’ambulances dans certains centres universitaires comme l’hôpital Maisonneuve-Rosemont ou l’Hôpital général juif serait impensable alors que près d’une quarantaine d’ambulances peuvent y transiter chaque jour.

Quelle solution ?

Président de l’Association québécoise de chirurgie, le DSerge Legault reconnaît que la distribution des cas de COVID-19 en vue d’une deuxième vague est « une décision stratégique complexe qui relève du ministère de la Santé ».

Le DSerge Legault

Le DLegault souligne qu’un autre enjeu qui se pose est celui des hôpitaux plus vétustes, pour qui il est « plus difficile de s’occuper de cas de COVID-19 ». Plusieurs centres universitaires ont des chambres neuves et simples, des installations plus adéquates pour soigner les patients atteints de la COVID-19. « Mais si on leur donne tous les patients, on étrangle leur mission tertiaire et quaternaire… C’est une décision difficile. Il n’y a pas de réponse parfaite », dit-il.

Pour la Dre Feldman, mieux répartir les cas de COVID-19 afin d’épargner les centres universitaires relève du bon sens. « C’est une question de gérer notre réseau comme un réseau. D’envoyer les patients au bon endroit », dit-elle.

Outre la question de savoir qui soignera les patients, le DWeiss explique que le réseau se prépare en achetant des masques et du matériel. Il croit que le réseau sera mieux préparé pour faire face à la deuxième vague. Et il le faut. « Si cette vague arrive à l’automne en même temps que l’influenza, on pourrait être plus occupés », dit-il.

Les médecins de famille invitent leurs patients à revenir

En attendant l’arrivée d’une éventuelle deuxième vague de COVID-19, les médecins de famille du Québec tentent de convaincre leurs patients de prendre rendez-vous et de revenir en clinique afin de consulter durant l’été. Président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin dit que les omnipraticiens veulent reprendre leurs activités normales, comme les bilans de santé, le plus rapidement possible. « On veut voir le plus de monde possible pendant l’accalmie. Au cas où on devrait reporter encore des choses lors d’une deuxième vague, dit le Dr Godin. La population doit savoir qu’elle peut venir en clinique sans craindre d’être infectée. »