Face aux demandes répétées des « anges gardiens » d’être mieux protégés, Québec vient d’émettre une ordonnance pour assurer l’application uniforme des mesures de protection des travailleurs de la santé, qu’ils travaillent dans le réseau public ou dans le privé, a appris La Presse.

« Cette ordonnance devrait assurer une application uniforme des mesures de protection et une équité dans les pratiques de toutes les installations du réseau public autant que du privé », a indiqué le sous-ministre Yvan Gendron aux dirigeants du réseau de la santé dans un message envoyé plus tôt cette semaine qu’a obtenu La Presse.

La directive édictée par le Dr Horacio Arruda, directeur national de santé publique, ordonne le port du masque N95 par les soignants évoluant dans le réseau — y compris ceux qui travaillent dans les CHSLD et les autres types de résidences pour aînés — dans des situations bien précises.

« Mieux vaut tard que jamais. C’était la logique en avril, quand les gens allaient à la guerre. Ça l’est encore aujourd’hui », dit le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec (ASMUQ), en entrevue avec La Presse.

Lorsque des urgentologues sont allés prêter main-forte en CHSLD plus tôt durant la crise, certains se sont carrément fait dire de ne pas porter le masque N95 par les autorités locales, « parce qu’il n’y en avait pas assez pour tout le monde », raconte le DBoucher.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

À la mi-avril, c’était clair qu’il n’y avait pas de place pour les N95 dans les CHSLD. On a des membres qui y sont allés avec leur N95 et ils se sont fait revirer de bord ; on leur a dit de retourner chez eux.

Le DGilbert Boucher, spécialiste de la médecine d’urgence

La raison ? « On s’est fait dire qu’on allait vider les CHSLD parce que tous les préposés ne voudraient plus travailler en voyant que les travailleurs qui provenaient des hôpitaux avaient accès à des N95, et eux, non », poursuit le DBoucher.

Or, « en extrapolant la situation qu’on voyait des patients très malades dans les urgences, c’était logique d’avoir le même niveau de protection quand on allait soigner ces mêmes patients en CHSLD », décrit le président de l’ASMUQ.

Contrer les aérosols

Dans sa directive datée du 8 juin, le DArruda demande que « l’usage du respirateur N95 soit réservé aux situations où une intervention médicale générant des aérosols est réalisée » dans un établissement du réseau de la santé et des services sociaux, dont les CHSLD, et que, « dans toutes autres circonstances, la protection respiratoire soit assurée par l’utilisation d’un masque chirurgical ou de procédure ».

« On était d’accord que pour 95 % du travail en CHSLD, les masques sont amplement suffisants, explique le DBoucher. Toutefois, pour de 2 à 5 % des cas, soit les patients qui toussent beaucoup, qui respirent vite, qui sont infectés par la COVID-19 et qui sont en fin de vie, aller dans leur chambre et y passer 15, 20 minutes pour leur apporter des soins avec un simple masque chirurgical, tout porte à croire que ça met les travailleurs de la santé à risque. »

Quant au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), il explique que les recommandations de la Santé publique sur les circonstances qui nécessitent le port du N95 n’ont pas été modifiées, bien qu’elles aient pu être interprétées différemment d’un établissement à l’autre.

« L’ordonnance du directeur national de santé publique vient spécifier que ces recommandations ont force de loi, et ce, dans les établissements de la santé ainsi que dans les installations, y compris les CHSLD, les RI, les RTF, les RPA, etc. Les orientations visent à utiliser judicieusement les masques N95, lorsqu’ils sont requis, selon les recommandations des experts. Cela s’applique autant dans les hôpitaux que dans le reste du réseau », indique la porte-parole du MSSS, Marie-Claude Lacasse.

Dans une récente enquête de La Presse, la pédiatre Joanne Liu, sommité en matière de lutte contre les épidémies, a affirmé d’ailleurs que « les autorités ne l’admettront jamais, mais les consignes [avaient] été basées en partie sur les réalités limitantes de notre inventaire de matériel de protection au lieu de se baser sur les données probantes qu’on avait ». Ce à quoi a ajouté l’intensiviste Michel de Marchie, qui travaille à l’Hôpital général juif : « La seule raison pour laquelle on a dit aux gens de ne pas avoir de N95, c’est qu’on n’en avait pas assez. »

L’accès aux masques N95 semble moins difficile qu’au début de la pandémie, note quant à lui le DBoucher. « Peut-on se permettre d’en offrir à plus d’endroits à ce moment-ci ? Probablement », conclut-il.