Séparée de son bébé à la naissance, une maman atteinte de la COVID-19 a attendu 55 jours avant de voir son bébé. Devant cette situation crève-cœur, l’équipe de néonatalogie du CHU Sainte-Justine a déployé des moyens exceptionnels jusqu’à ce que la mère et l’enfant soient réunis. 

Dans la zone chaude du bloc opératoire du CHU Sainte-Justine réservée aux patients atteints de la COVID-19, tout s’est passé si vite.

« Je n’ai pas vu le bébé. Je ne l’ai pas entendu pleurer », raconte Emmanuelle*. On vient de pratiquer une césarienne d’urgence. La maman a tout juste le temps de demander si c’est un garçon ou une fille avant qu’une équipe parte avec le grand prématuré aux soins intensifs. Le temps presse. Le petit – qui pèse 890 g – lutte pour sa survie.

« Un garçon », répond quelqu’un de loin.

Nous sommes début avril. La trentenaire est enceinte de 26 semaines lorsqu’elle est transférée d’urgence à l’hôpital pédiatrique montréalais.

À l’hôpital Charles-Le Moyne en Montérégie où elle s’est d’abord rendue après avoir ressenti des douleurs au ventre, on lui fait passer un test de dépistage pour la COVID-19. Le résultat est positif. Un choc pour la femme enceinte qui n’éprouve aucun symptôme.

Sept semaines

À ce moment-là, la maman ne se doute pas qu’elle donnera naissance si vite. Et, plus angoissant encore, qu’elle attendra sept semaines avant de prendre son bébé – son premier – dans ses bras.

Dans les jours suivant l’accouchement, Emmanuelle obtient son congé de l’hôpital sans avoir vu son petit Yahel. Trop risqué. Elle se résigne en pensant qu’ils seront réunis bientôt.

« Le plus grand défi, c’est qu’elle n’avait à peu près pas de symptômes, explique la Dre Caroline Quach, pédiatre, microbiologiste-infectiologue et épidémiologiste au CHU Sainte-Justine. Pendant longtemps, elle n’en a eu aucun, mais son test est resté positif pendant 55 jours. » L’enfant, lui, n’a pas été infecté.

Dans ce contexte-là, on ne pouvait pas lui permettre de rentrer voir son bébé. Il fallait être plus prudent que moins pour ne pas mettre qui que ce soit en danger.

La Dre Caroline Quach

La maman devait obtenir deux « PCR négatives », à 24 heures d’intervalle, pour pouvoir revenir en milieu de soins – le même protocole que celui appliqué aux travailleurs de la santé infectés.

« Je n’aurais jamais pensé que ça pouvait prendre sept semaines », dit la maman. Le personnel hospitalier non plus. Pour des jeunes en santé avec des maladies peu sévères, la durée médiane de positivité sera de 21 à 25 jours, mais ça peut aller jusqu’à 42 à 48 jours, explique la Dre Quach. Emmanuelle était vraiment « à l’extrême » avec 55.

« On comprend qu’elle était découragée, souligne la médecin spécialiste. Nous aussi, on était découragés pour elle. On voulait brailler avec elle. » À cette épreuve s’ajoute celle d’être loin de son conjoint, ce dernier étant retenu à l’étranger en raison de la pandémie.

Dès le début – et tout au long de cette interminable attente –, l’équipe de néonatalogie a déployé des moyens exceptionnels pour soutenir la maman.

Munies d’un iPad fourni par l’hôpital, les infirmières envoient des photos du bébé à la maman chaque jour. Au moment du bain, une infirmière l’appelle sur FaceTime alors qu’une autre lave l’enfant. « Donne-lui des bisous de ma part », texte la maman à la vidéaste improvisée.

Une maman COVID+

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La Dre Caroline Quach, Martin Reichherzer et Christine Tremblay, chefs d’unité en néonatalogie

L’hôpital offre aussi un tire-lait et des pots stériles à la maman. « Souvent, les parents d’enfants prématurés disent éprouver un grand sentiment de culpabilité. La mère n’a pas pu mener la grossesse à terme, elle n’a pas pu faire de photos de bedaine. Ce sont beaucoup de deuils, décrit Martin Reichherzer, chef d’unité en néonatologie (soins intensifs). L’allaitement, c’est quelque chose à quoi les mamans s’accrochent, car elles sont en mesure de le réussir. »

La procédure pour une maman COVID+ est pas mal plus exigeante. À la maison, Emmanuelle tire son lait munie d’un masque, et elle doit désinfecter son corps ainsi que ses accessoires après chaque utilisation, alors que d’habitude, c’est toutes les 24 heures. Elle répète le tout huit fois par jour. Un job à temps plein. « C’était important pour moi, car je sais que le lait maternel a beaucoup de bienfaits », raconte la maman.

Amélie Ouellet, consultante en lactation et infirmière, l’appelle tous les jours pour la motiver. 

Je n’aurais pas été calme comme elle aussi longtemps. Je l’ai trouvée très, très forte.

Amélie Ouellet

L’équipe de néonatalogie a l’idée de cueillir les contenants de lait – deux fois par semaine – au moment où Emmanuelle vient à la clinique de dépistage à l’auto de l’hôpital. La maman se concentre sur la livraison du précieux liquide pour oublier la douleur du test de dépistage. Semaine après semaine, elle reçoit la mauvaise nouvelle – un résultat encore positif ! – en s’accrochant à sa mission de nourrir son bébé.

« Les filles du dépistage ont vu si souvent la mère qu’elles nous demandaient comment allait le bébé », raconte l’infirmière Amélie Ouellet. « Ça a pris une sacrée logistique, mais on ne pouvait pas échouer », ajoute son collègue des soins intensifs Martin Reichherzer. L’équipe du dépistage devait se synchroniser avec le laboratoire du lait. Au labo, les bouteilles étaient étiquetées « Maman COVID » pour éviter tout contact avec les autres bouteilles au cas où il resterait du virus sur la surface du contenant.

Peau-à-peau à la place de la maman

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Amélie Ouellet, consultante en lactation et infirmière

Le parcours du combattant de la maman bouleverse le personnel. « La goutte qui a fait déborder mon vase a été le résultat encore positif après un mois de séparation avec son bébé », raconte Sophie Gravel, coordonnatrice de la trajectoire mère-enfant.

Mme Gravel soumet alors l’idée à la Dre Quach que la sœur d’Emmanuelle – elles sont très proches – puisse venir prendre le bébé en peau à peau à la place de la maman. Le peau-à-peau ou méthode kangourou est la seule façon de sortir un bébé prématuré de son incubateur. D’habitude, seuls les parents peuvent le faire. La Dre Quach accepte à condition que la sœur obtienne deux résultats négatifs consécutifs.

La sœur viendra faire la connaissance de son neveu alors que les parents assistent à la scène via FaceTime. Pendant ce temps, Emmanuelle continue à tirer son lait. Un jour, elle se met à faire de la fièvre. Est-ce la COVID-19 ? s’inquiète-t-elle. Ce sera plutôt une mastite (inflammation des seins). Même si elle souffre, elle s’accroche à l’image de Yahel qui devient plus fort grâce à son lait.

Le samedi 23 mai, la maman reçoit enfin la nouvelle tant attendue. Et s’empresse de texter sa consultante en lactation. « Je suis impatiente là. Enfin », écrit-elle dans son message suivi d’une série d’émojis de joie. Un second test confirmera le premier résultat. La visite est prévue le lundi.

« Je n’ai fait que penser à cette maman toute la fin de semaine et à ce que nous pouvions faire pour lui témoigner tout notre soutien », raconte Sophie Gravel de l’équipe de néonatalogie. Elle a l’idée d’organiser une haie d’honneur.

Accompagnée par l’infirmière Amélie Ouellet jusqu’à l’étage de néonatalogie, Emmanuelle a le souffle coupé à l’ouverture des portes de l’ascenseur. Tout le personnel – médecins, infirmières, inhalothérapeutes, préposés aux bénéficiaires et préposés à la salubrité – l’attend le long du corridor. La maman est applaudie à tout rompre. Plusieurs essuient une larme.

PHOTO FOURNIE PAR LE CHU SAINTE-JUSTINE

Emmanuelle au moment où elle voit son bébé pour la première fois, 55 jours après sa naissance

À l’approche de la chambre 63, son cœur bat fort. « J’avais peur d’y rentrer », se souvient-elle. Yahel dort paisiblement. Un masque respiratoire lui couvre une partie du visage ; un tube de gavage le relie à une pompe. « C’est mon petit garçon, ça ? Mon bébé à moi ? », se dit-elle.

Depuis le 25 mai, la maman passe ses journées à l’hôpital. L’enfant – qui pèse aujourd’hui 2,61 kg – a quitté les soins intensifs. Il pourrait obtenir son congé de l’hôpital à la mi-juillet, peut-être même avant, puisqu’il évolue bien.

« Je ne connaissais pas Sainte-Justine avant. Je me suis dit wow, lance la maman, émue. Je ne sais pas par quelle chance je suis atterrie ici. »

Emmanuelle* nous a demandé de taire son nom de famille.