Il y a des métiers comme l’ébénisterie, l’horticulture, la mécanique et l’entretien ménager où l’école en ligne ne fonctionne pas. Cela explique pourquoi le gouvernement a donné le feu vert aux écoles qui offrent des formations professionnelles au niveau secondaire même si toutes les polyvalentes du Québec restent fermées jusqu’en septembre. La Presse a visité l’École des métiers du meuble, où 90 % des 200 élèves de 17 à 65 ans sont de retour en classe depuis une semaine.

Marie-Michèle Coupal, 34 ans, apprend le rembourrage. Elle devait obtenir son diplôme en novembre après un programme de 12 mois, mais la pandémie a tout chamboulé, y compris l’horaire. Comme les autres élèves du secteur professionnel, elle doit maintenant reprendre les deux mois d’école perdus. 

« On va finir en décembre. Puis, après, on va avoir un stage d’un mois », dit-elle. Heureuse d’être de retour ? « Oui, j’avais peur que ça ne recommence pas. »

Ce qu’on enseigne à l’École des métiers du meuble de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), « ça ne s’apprend pas en regardant une vidéo YouTube : ça s’apprend en frottant pour de vrai et en vérifiant si c’est bien fait », lance Patrice Forest, directeur de l’établissement.

De son côté, Denis Tremblay est moins enchanté. 

« Je suis partagé, admet l’enseignant en ébénisterie. Je suis content pour les élèves, mais on est les seuls dans les écoles qui sont revenus. On a été surpris que tous les programmes reprennent sans condition partout. » 

Inquiet ? « Oui, mais on se protège du mieux qu’on peut. » Le problème, comme La Presse l’a constaté, c’est que les élèves ne respectent pas toujours les deux mètres et sont très peu nombreux à porter le masque rose fourni par la CSDM. Des outils passent aussi de main en main sans avoir été nettoyés. « Il faut s’adapter », ajoute le professeur.

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Denis Tremblay et ses élèves

Ajustements

Line Legault, responsable du prêt d’outils, s’adapte elle aussi. « On a installé des panneaux de plexiglas. Je ne signe plus les factures. Les élèves doivent désinfecter les outils en les empruntant et en les remettant le soir. Ça change beaucoup, mais ça va bien. On s’ajuste de jour en jour », précise-t-elle. 

Contente ? « Oui et non. Je me disais : le primaire, le secondaire, le cégep et l’université ne vont pas à l’école, mais la formation professionnelle, on y va. Qu’est-ce qu’on a de moins dangereux qu’eux ? Là, je suis correcte, c’est une routine, mais je prends des précautions. »

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Line Legault, responsable du prêt d’outils

Jessica Strazza, 28 ans, elle, n’a pas peur. Ce qui l’inquiète, c’est davantage l’argent, surtout la peur d’en manquer. « Mais je peux comprendre pourquoi ça peut faire peur », nuance l’élève, qui a perdu en mars l’emploi qu’elle occupait dans une entreprise de planches à neige, tout en étudiant. 

« Il faut que je me retourne de bord. Quoi faire ? C’est la première question que je me suis posée en me levant ce matin et c’est la dernière chose à laquelle j’ai pensé en allant me coucher hier. Ça m’inquiète un peu financièrement. »

Tous les élèves de Nathalie Dion sont revenus en classe le 25 mai, sauf un « qui est coincé en Beauce parce qu’il avait laissé son logement à la mi-mars ». « Il leur restait huit jours avant d’être diplômés », ajoute l’enseignante, derrière sa visière. 

Behzad Damghani fait partie du groupe, tout comme Laurence Charbonneau-Ouellette. Soulagés ? « Bien sûr. C’est important pour moi de terminer ma formation », répond Behzad, qui travaillait dans le domaine du marketing avant d’opter pour l’ébénisterie. « J’aime le travail manuel », ajoute Laurence, employée dans une caisse populaire.

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Laurence Charbonneau-Ouellette et Behzad Damghani

Défis

Le cours d’entretien général d’immeuble que suit Ramiro Millan devait prendre fin le 8 juin, mais il a été prolongé jusqu’au 25 septembre. Ailleurs, les élèves inscrits en formation professionnelle sont aussi retournés à l’école quand l’enseignement à distance n’était pas une option. L’École des métiers de la construction de Montréal accueille depuis une semaine 80 de ses 850 élèves, « 10 groupes qui étaient près de la fin », indique le directeur Mario Bilodeau.

À l’École des métiers de l’horticulture de la CSDM, le défi est un peu différent : « Avec l’ouverture des centres de jardinage, beaucoup de nos élèves ont reçu des offres d’emploi », fait savoir la directrice Josée Péloquin. 

Moins de 100 des 250 élèves, dont la moyenne d’âge est de 25 ans, suivent la formation en ligne et sur place. Mme Péloquin craint de perdre d’autres élèves, attirés par la toute nouvelle formation de trois mois rémunérée offerte par le gouvernement pour recruter 10 000 préposés aux bénéficiaires.

La commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB) a aussi rouvert les portes de ses centres de formation professionnelle pour les élèves déjà inscrits. « Depuis le 25 mai, on assure la continuité des apprentissages, souligne Sylvie Chartrand, directrice de la formation professionnelle. Ça demande des réajustements. Mais les gens qui vont se retrouver sur le marché du travail vont aussi devoir se réajuster. »