Les enseignants ont essuyé de vives critiques de parents depuis le début du confinement, mais tous n’ont pas attendu les suggestions ou les rappels à l’ordre du ministre de l’Éducation concernant le fait que l’année scolaire n’était pas terminée. Conversation avec quelques-uns de ces profs qui ont multiplié les initiatives et adapté leur enseignement pour que les enfants continuent d’apprendre.

Les maths, chacun chez soi

Jeudi, 11 h. Il fait un temps caniculaire dans la région de Montréal et une vingtaine d’élèves de la classe de mathématiques de Julie Cléroux et Cassandre O’Connor sont réunis pour un cours en vidéoconférence. Comme partout au Québec, les élèves de l’école secondaire Saint-Jean-Baptiste de Longueuil doivent finir l’année à distance.

Installée sous un ventilateur qui tourne à plein régime, l’enseignante Julie Cléroux rappelle les consignes d’usage pour ce cours de maths de première secondaire. On lève – virtuellement – la main si on a des questions ou on les pose par clavardage.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Les enseignantes Cassandre O’Connor et Julie Cléroux

Justement, un élève a une question et ouvre son micro. Un son métallique se fait entendre. « Oh, my God, cet ordi bogue ! Est-ce que vous m’entendez ? Mieux que l’autre fois ? C’est quoi, le travail ? »

Le travail que les élèves ont eu à faire dans la semaine et qui est révisé avec les enseignantes consiste à faire la moyenne des poissons qui sont pêchés dans deux lacs. Justement, Québec a annoncé quelques jours plus tôt que les vacanciers seraient de retour dans les pourvoiries cet été.

Lequel, du lac Croche et du lac à l’Équerre, est le plus poissonneux ? Les enseignantes entament la résolution du problème, répondent aux questions des élèves. L’écran se remplit de calculs qu’elles font en direct.

IMAGE FOURNIE PAR LES ENSEIGNANTES

Un écran qui se remplit de calculs réalisés par les enseignantes Julie Cléroux et Cassandre O’Connor, qui ont adopté les cours en vidéoconférence

Bien entendu, il y a parfois des pépins techniques. Une élève semble avoir une question et ouvre son micro. « Je n’ai pas de question, ma souris a levé la main toute seule », dit-elle.

Puis tout le monde travaille, chacun chez soi, à un quiz mathématique réalisé sur une plateforme en ligne. « On va fermer nos micros parce que la dernière fois qu’on a fait ça à micro ouvert, madame Cassandre et moi, on a eu mal à la tête », avise Julie Cléroux. Même devant un écran, la gestion de classe demeure un défi, dit-elle. Entre le groupe trop silencieux et le groupe trop bavard, l’équilibre est parfois difficile à trouver.

Des « foules records » d’élèves

L’enseignante de près de 20 ans d’expérience découvre en même temps que ses élèves l’école toute à distance. Depuis que le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a indiqué que l’année scolaire n’était pas terminée, à la mi-mai, ses cours atteignent des « foules records » d’élèves, dit-elle.

Malgré tout, environ la moitié des élèves est absente. « Pour nous, c’est une belle réussite. On est dans un quartier défavorisé et si on est deux enseignantes en classe, c’est parce qu’on a des élèves en difficulté scolaire. Un élève sur deux, c’est une grande victoire », dit Julie Cléroux.

On a de belles surprises. Certains élèves qui suivaient moins en classe, mais qui sont plus technos, sont là et sont bien présents.

Cassandre O’Connor

Il y a même certains avantages à faire des cours à distance, poursuit-elle. Parfois, elle écrit en privé à certains élèves pour être bien certaine qu’ils comprennent les explications. « Je le faisais en classe, mais en ligne, ils sont moins gênés. Je n’ai pas l’air de les cibler », explique l’enseignante.

N’empêche que Cassandre O’Connor a hâte de retourner en classe, pour vrai.

Il semble que certains élèves aussi. « Je m’ennuie tellement d’être assis dans une classe », a dit un peu avant la fin du cours de maths un élève particulièrement loquace.

« Nous aussi, on s’ennuie », a abondé Julie Cléroux.

« Je ne pense pas que vous vous ennuyiez de tous les matins quand la cloche sonne et qu’on continue à parler comme des malades… En tout cas, moi, je m’ennuie même des quiz surprises ! », a renchéri l’élève.

Inarrêtables et infatigables

Portraits d’enseignants aux méthodes ingénieuses en ces temps de pandémie

Le prof au chariot

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Marc Brunette, enseignant au primaire à l’école Marie-Favery, dans Villeray, à Montréal, va de maison en maison pour faire l’école chez ses jeunes élèves.

Faire des séances Zoom avec des élèves de maternelle ? Marc Brunette, qui enseigne à ce niveau à l’école Marie-Favery, dans Villeray, à Montréal, n’était pas enthousiaste. « Ça ne me convenait pas. Je n’étais pas à l’aise d’installer des enfants aussi jeunes devant un écran. »

Mais à 5 ans, les enfants ne sont pas très fous du téléphone et des longues conversations. « Souvent, quand je donnais mes coups de fil, j’entendais le parent lancer à l’enfant : “C’est Marc, tu viens lui parler ?”, et mon élève, qui était en train de jouer aux Lego, répondait : “Bof, non, ça va.” »

Avec le retour des beaux jours, M. Brunette a donc eu une idée. Pourquoi ne pas aller directement chez ses 14 élèves, un par un ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marc Brunette enseigne à une jeune élève dans la cour familiale.

Il a divisé ses 14 élèves en deux groupes, a pris un petit chariot, y a mis son chevalet, son matériel didactique et son matériel de bricolage.

Tous les deux jours, ses élèves ont leur enseignant à eux tout seuls, pendant 30 minutes. Et là, c’est autre chose. Marc débarque, en vrai ! « Ils sont pas mal excités de me voir ! Parfois, je rejoins l’enfant à l’entrée de son immeuble, parfois les parents me donnent rendez-vous dans la cour. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’enseignant Marc Brunette désinfecte la table qui a été utilisée pour faire les leçons à une élève.

Chacun garde ses distances et chaque élève a son propre matériel, auquel les autres ne touchent pas, précise M. Brunette.

C’est laborieux ? Pas du tout, dit M. Brunette, qui prend toujours autant plaisir à enseigner. « En plus, les enfants habitent presque tous dans la même ruelle ! »

Les enseignantes qui font équipe

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Chloé Millette-Bilodeau, enseignante de deuxième année à l’école Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal (assise, en noir), en compagnie, de gauche à droite, de ses collègues Cécile Deschepper, Cynthia Gignac, Anne-Marie Asselin et Alice Ostiguy

Enseignante de deuxième année à l’école Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal, Chloé Millette-Bilodeau parle sans cesse de « ses enfants », sans qu’on puisse être tout à fait certain qu’elle parle de ses élèves ou de la chair de sa chair.

Dès le départ, elle et ses collègues enseignantes – dont l’une habite au-dessus de chez elle – ont décidé de travailler plus que jamais main dans la main, chacune donnant ses trucs aux autres.

Jeux-questionnaires, dictées sur YouTube, séances Zoom quotidiennes à 16 h, trois autres séances le matin…

Les enseignantes ne ménagent aucun effort et elles ont épluché les sites éducatifs pour en retenir ce qui sert le mieux les élèves.

Je n’étais vraiment pas très bonne en informatique, mais là, j’ai appris mille choses, j’ai découvert plein d’outils qui vont vraiment me servir, même après le confinement.

Chloé Millette-Bilodeau

Bien sûr, elle et ses collègues ont appris « sur le tas ». Non, faire une dictée sur Zoom avec des enfants de deuxième année, ça ne fonctionne pas très bien, ça devient vite chaotique, d’où l’idée de la dictée YouTube, que les parents peuvent faire faire au moment qui leur convient.

Bien sûr, il est arrivé au début que des élèves « prennent le contrôle » de l’ordinateur de leur prof pendant la séance Zoom. Et de petits coquins se sont bien amusés à se rendre invisibles à l’écran. Mais là, l’expérience aidant, tout se passe bien.

Mme Millette-Bilodeau en est convaincue : si elle réussit à abattre autant de boulot avec ses élèves, c’est parce qu’elle, ses collègues enseignantes – de son école, mais aussi d’autres encore, qui ont été généreuses de leurs bons plans sur les réseaux sociaux – et les parents ont fait front commun, ont décidé que ça marcherait et se sont donné les moyens pour que cela arrive.

Mais, bien sûr, elle reste inquiète. « Il y a quelques élèves dont je reste sans nouvelles. »

Des enseignants et des élèves assidus

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Frédérick Moreau, enseignant de français à l’école secondaire Marguerite-Bourgeoys, à Saint-Jean-sur-Richelieu, avec Jonathan Brouillette, enseignant d’anglais

« Chaque classe a depuis quelques semaines entre deux heures quinze et trois heures de cours, chaque jour », explique Frédérick Moreau, enseignant de français à l’école secondaire Marguerite-Bourgeoys, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Avant les suggestions puis le rappel à l’ordre de la mi-mai du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, « la très grande majorité des enseignants assuraient déjà un suivi avec leurs élèves et fournissaient du travail et de la rétroaction sur une base régulière ».

L’école Marguerite-Bourgeoys, qui accueille des élèves de première et deuxième secondaire (dont la moitié est issue de milieux défavorisés), a distribué des ordinateurs aux familles qui n’en avaient pas.

Les élèves sont-ils au rendez-vous lors des cours donnés sur Zoom ? « Nos taux de participation aux cours oscillent entre 90 % et 100 %, ce qui nous a agréablement surpris. Quand un élève n’est pas là, les parents reçoivent un coup de fil. »

Un suivi personnalisé est assuré par des « super-tuteurs » qui communiquent plusieurs fois par semaine avec les rares récalcitrants.

La majorité des absences sont liées à un problème technologique, problème que nous nous efforçons de régler le plus rapidement, ou encore à un problème d’organisation familiale.

Frédérick Moreau

M. Moreau explique que des enseignants se mettent parfois à deux pour donner la matière : l’un fait la présentation (parfois à partir de la classe pour avoir accès au tableau interactif), tandis que l’autre répond aux questions en direct des élèves sur un fil de conversation.

« En français, j’ai pas mal couvert toutes les notions grammaticales au programme. À ma connaissance, les élèves n’accusent pas de retard en maths non plus. »

L’école, qui accueille aussi des élèves présentant une déficience intellectuelle, offre par ailleurs du répit à leurs parents deux fois par semaine.