Montréal renaît. Du moins, c’est ce qu’on dit. Du moins, c’est ce qu’on veut bien croire.

On voit cette renaissance aux nombreux chantiers de construction qui ont poussé comme des tulipes au cours des derniers jours. On la voit aux attroupements dans les parcs et à la circulation qu’il y avait sur les pistes cyclables dimanche dernier.

La réouverture des commerces contribue depuis lundi à cette renaissance. Sur la promenade Ontario, où je me suis rendu, on ne trouve pas de magasin Simons, de boutiques Aveda, Urban Behavior ou San Francisco. On a plutôt droit à des enseignes comme Dollarama et Yellow. Et aussi à beaucoup d’entreprises d’encaissement de chèques et de magasins de prêts sur gages.

Mais ce quartier offre également des commerces créés par des gens créatifs et d’autres à ranger dans la catégorie « institutions ». La boutique Pikottine fait partie de ceux-là. Ce capharnaüm vieux d’une quarantaine d’années venait tout juste d’ouvrir ses portes après deux mois de dormance lorsque je me suis pointé.

« Qu’est-ce qu’on trouve ici au juste, madame ?

– Résumons en disant que ça va du chapelet au vibrateur », m’a répondu sans détour Lise, l’unique employée.

En effet, les étagères de ce magasin courbent sous le poids d’un impressionnant choix d’encens, d’huiles essentielles, d’accessoires pour fumeurs de cannabis et de jouets sexuels. Mais il y a aussi une vaste collection de pendules, de jeux de tarot, d’articles d’astrologie, de cristaux et d’articles de sorcellerie.

« L’ésotérisme, mon cher monsieur ! C’est très important, a ajouté Lise. En tout cas, ça l’est dans le quartier. »

La vie reprend rue Ontario. Vous auriez dû voir le bonheur sur le visage des clientes qui faisaient la file devant la boutique Evasia, qui vend des plantes et des objets décoratifs pour le jardin.

« Les propriétaires et les employés sont tellement gentils, m’ont dit Catherine et Pascale. On vient ici pour notre santé mentale ! »

La vie reprend aussi pour les chasseuses d’aubaines Nicole et Lise. Ces deux sœurs ont grandi dans Hochelaga. Je leur ai parlé alors qu’elles attendaient que la boutique République Collection ouvre enfin ses portes.

« On a appris samedi que tout serait à 50 % de rabais. On ne voulait pas rater ça », m’a confié Lise.

La vie reprend à Montréal. Du moins, c’est ce que l’on dit.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Montréal renaît, écrit notre chroniqueur.

La ville est sale comme jamais. Le grand ménage du printemps a fait patate cette année. Les poubelles publiques débordent de cartons ayant servi à mettre de la nourriture achetée à des comptoirs. On en voit partout sur les trottoirs, dans les parcs.

Les rues sont crottées. De nombreux automobilistes qui croient encore qu’ils bénéficient du sursis offert par la Ville ne déplacent pas leur véhicule durant la période réservée au nettoyage. Et puis, il y a ces corridors sanitaires qui bloquent plusieurs accès. Résultat : les camions munis de brosses rotatives passent au milieu des rues depuis des semaines.

La ville est sale et on n’arrive pas à expliquer pourquoi au juste. La COVID-19 a le dos large.

La vie reprend. Mais elle craque parfois.

Comme cette auditrice lundi matin chez Paul Arcand qui a raconté comment elle avait souligné son anniversaire durant la fin de semaine. Elle a reçu dans son jardin sa mère et sa sœur. Le trio ne s’était pas vu depuis plusieurs semaines. Au début, la femme parlait en rigolant. Mais quand l’animateur lui a demandé si elle trouvait cela difficile de ne pas pouvoir leur toucher, elle a craqué.

« C’est très dur… Ç’a été plus fort que nous, on s’est touchés un peu », a-t-elle dit en sanglotant.

La vie reprend. Mais elle en a marre d’être empêtrée dans cette lave.

« Parle-moi d’autre chose », me dit ma mère quand je j’appelle.

La vie est en suspens.

Dans le Village, on a fermé comme d’habitude la rue Sainte-Catherine, entre Saint-Hubert et Papineau. La rue est fermée, sauf qu’il ne se passe rien. C’est très étrange. Tous les propriétaires de bars attendent le coup de sifflet du gouvernement pour ouvrir leurs portes et laisser couler l’alcool. En attendant, les lieux servent de terrain de jeux à une faune pour qui la COVID-19 n’a pas changé grand-chose au cours des 12 dernières semaines.

La vie reprend. On rêve aux terrasses, au retour du camping, aux 300 kilomètres que l’on fera en aller-retour pour aller dire bonjour à sa grand-mère, aux balades à vélo le dimanche dans le parc Maisonneuve ou au bord du canal de Lachine, aux pique-niques avec des amis, aux rendez-vous qu’on se donnera au coin d’une rue pour marcher et parler.

On rêve à toutes ces choses banales que l’on pourra faire. Car s’il y a une chose que cette pandémie nous a apprise, c’est que la banalité manquait terriblement à nos vies.