Tout jouait contre Rolande Richard. Son âge : 90 ans moins 10 jours. Son état de santé : elle vient de passer un mois à l’hôpital pour des problèmes de glande thyroïde. Son lieu de résidence : elle a été transférée dans un des CHSLD les plus touchés par la COVID-19 au Québec pour faire sa réadaptation. Le 1er mai, elle est malgré tout devenue la toute première patiente de son unité à guérir du coronavirus. Mieux que ça, elle a pu rentrer chez elle.

Au bout du fil, Mme Richard ne cesse de pleurer.

Voilà 13 jours qu’elle est de retour dans son appartement de la résidence Chartwell à Laval. Après plusieurs semaines passées isolée et malade dans une chambre de l’unité transitoire de réadaptation fonctionnelle du CHSLD Sainte-Dorothée, elle a reçu à la fin du mois d’avril deux diagnostics négatifs à la COVID-19, confirmant une guérison que personne n’attendait.

« Mon cas, les médecins ne l’ont pas compris, dit la presque nonagénaire. Je ne peux pas l’expliquer. Je suis guérie, mais je n’ai pas de mérite », dit-elle, toujours en pleurant.

Les derniers mois ont été « douloureux ».

À la fin du mois de février, Rolande Richard a été admise à la Cité-de-la-Santé de Laval. Sa glande thyroïde lui jouait des tours. Sur place, elle a mal réagi au traitement. Résultat : elle est demeurée hospitalisée plus d’un mois.

En pleine épidémie

Au début d’avril, elle allait mieux, mais son séjour à l’hôpital avait laissé des traces. La femme a donc été transférée au CHSLD Sainte-Dorothée pour y suivre des traitements de réadaptation avant de regagner son logement.

Sa fille Chantal Bélanger a reçu un appel de l’établissement dans les semaines suivantes. Un médecin lui annonçait que sa mère, comme la majorité des résidants de l’endroit, avait contracté la COVID-19. « Évidemment, j’étais inquiète, mais je me suis dit : on va prendre ça une journée à la fois, raconte Mme Bélanger. Je l’appelais tous les jours. Elle se sentait bien, elle était très bien soignée, mais elle était émotive. Ça lui rappelait des souvenirs de la guerre, dans le temps où ils étaient rationnés. »

De sa chambre, Rolande Richard assistait à l’hécatombe. Depuis le début de la pandémie, 86 personnes sont mortes dans ce CHSLD de Laval et 204 ont été infectées. Sans télé, sans radio et sans autres vêtements que sa chemise d’hôpital – sa famille n’a pas eu le droit de lui apporter ses effets personnels à cause du confinement –, elle aurait pu sombrer.

L’amour, croit-elle, l’a aidée à tenir.

Malgré les morts, malgré la maladie, malgré le manque criant de personnel, elle dit ne jamais en avoir reçu autant.

« J’ai rencontré des gens que je ne connaissais pas ; qui ne me connaissaient pas, mais qui m’ont donné tellement d’amour. J’ai vu des sourires et des sourires et des sourires. J’ai été soignée comme une reine », s’exclame la femme.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Après avoir surmonté des problèmes de glande thyroïde et la COVID-19, voilà 13 jours que Rolande Richard est de retour dans son appartement de la résidence Chartwell, à Laval.

Chaque jour, les employés venaient me dire bonjour dans le cadre de porte. Ils prenaient de mes nouvelles. Ils ne me connaissaient même pas. Je n’avais jamais vu ça.

Rolande Richard

La nuit, Mme Richard pleurait en cachette pour qu’on ne voie pas son découragement. « J’étais triste que les autres ne guérissent pas », souffle-t-elle.

Mais pas question de laisser paraître sa peine devant les soignants qu’elle trouve si courageux. Pas question de miner leur moral.

Elle a tiré sa force de son père, un vétéran de la guerre de 14-18 qu’elle admirait tant. « Merci papa », souffle la femme d’une voix étranglée.

Le 1er mai, après avoir reçu deux fois des résultats de test négatifs, on lui a donné la permission de retourner chez elle. Ni elle ni sa famille n’ont encore complètement digéré son rétablissement. « Les gens là-bas m’ont dit : on ne comprend pas », dit sa fille Chantal.

C’est elle qui est allée la chercher. « Je ne l’avais pas vue depuis mars. Je ne savais pas de quoi elle aurait l’air. »

« Tellement incroyable »

C’est fermement accrochée à son déambulateur, vêtue d’une blouse de protection et masquée, sous les applaudissements et les cris des employés que la vieille dame est sortie du CHSLD.

« Ils avaient tous le sourire. Ils ont pris des photos. Je ne rencontrerai plus jamais ça dans ma vie. Ces gens-là sont incroyables », relate la principale intéressée. Tellement incroyable, ajoute-t-elle, qu’elle serait prête à revivre l’enfer du dernier mois simplement pour les rencontrer à nouveau.

La route vers la guérison n’est pas terminée. « C’est très long, revenir. L’énergie, je ne l’ai plus. Mais je ne me décourage pas. »

Pour Mme Richard, le cauchemar est derrière. « Mais pour eux [les employés], ce n’est pas fini. Il y a eu tellement de morts et il va y en avoir d’autres. Mais ça va être suivi par des guérisons », dit-elle d’une voix ferme.

« Ceux qui m’ont aidée, je vais retourner les voir. Ça, c’est certain. Mais dehors cette fois. »