Mia pleure. La petite de 1 an refuse de lâcher les bras de sa maman pour aller dans ceux d’une éducatrice dont la moitié du visage est couvert par un masque. Après huit semaines de confinement, le retour à la garderie n’est facile ni pour les enfants ni pour les éducatrices. Le Clos-des-petits-hiboux, à Prévost, nous a ouvert les portes de sa garderie afin que l’on soit témoin de cette « rentrée » teintée par la COVID-19.

Avec l’autorisation de la mère de Mia, la directrice de la garderie, Marie-Joe Ravier, s’empresse d’enlever son masque et de prendre l’enfant dans ses bras. Elle l’amène dans son bureau, la berce et pose un baiser sur son front. « Ce n’est pas vrai qu’il n’y aura plus de câlins », déclare celle qui travaille dans le domaine de la petite enfance depuis 22 ans.

Des boîtes couvrent une partie du plancher de la pièce. « C’est un peu le bordel », s’excuse-t-elle. Durant le week-end, la propriétaire de la garderie privée qui compte deux installations de 142 enfants a récupéré les masques et les visières fournis par le gouvernement. Avant de commencer leur quart de travail, les éducatrices passent chacune leur tour pour récupérer les accessoires qui font désormais partie de leur uniforme de travail.

Du coin de l’œil, Mme Ravier aperçoit Sonia Leprohon, une éducatrice de la pouponnière réaffectée à l’accueil des familles. « N’oublie pas de relever ton masque sur ton nez », lui glisse-t-elle gentiment.

Sonia a choisi un couvre-visage arborant de petits dessins d’animaux. Dans le vestibule, elle demande aux adultes et aux enfants de nettoyer leurs mains avec un liquide antiseptique. « Montre-moi tes mains », dit-elle sur un ton rieur à une fillette. Mais son sourire reste dissimulé sous un bout de tissu. À cause de la COVID-19, les parents n’ont plus le droit d’entrer dans la garderie. C’est donc à cet endroit qu’ils doivent dire au revoir à leurs enfants.

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Marie-Joe Ravier, la propriétaire de la garderie Clos-des-petits-hiboux, réconforte Mia, qui est effrayée par les masques.

Espaces distincts

Durant la fin de semaine, Marie-Joe Ravier et le personnel de la garderie ont tracé des espaces de jeu au sol, avec du ruban adhésif vert, afin que les enfants respectent deux mètres de distance avec les autres. Sur les tables, elles ont dessiné des visages pour montrer aux petits où ils peuvent jouer. Ou ne pas jouer.

Mais le respect de ces repères n’est pas toujours évident.

Après la lecture d’une histoire sur la COVID-19, les quatre enfants du groupe de Roxanne Mathieu perdent de vue les nouvelles consignes. Alexia tente d’ouvrir une armoire. « Non, Alexia, tu ne peux pas toucher. Regarde, la ligne sur le plancher », lui rappelle Roxanne d’une voix douce. Au même moment, Alex fait rouler une voiture dans le périmètre d’un ami. « Alex, ce n’est pas ton coin », le réprimande Henri, du haut de ses 3 ans.

« On essaie de faire notre possible sans être achalantes », dit l’éducatrice des 18 mois, Édith Reeves.

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Des lignes ont été tracées au sol pour délimiter l’espace de jeu de chaque enfant.

Travailler sous une visière

Dans le local de Stéphanie Poirier, les enfants s’assoient habituellement au sol, collés les uns contre les autres, pour la période de causerie. Mais pas ce matin. Chaque enfant est assis sur une chaise à une bonne distance des autres. Stéphanie présente une affiche qui explique la distanciation physique. Un élément de l’image capte l’attention de Félix. Il se précipite dans la bulle de Stéphanie pour lui désigner ce détail. « Félix, j’aimerais ça que tu restes assis », lui répète-t-elle calmement.

Une fois la causerie terminée, l’éducatrice enfile une visière pour la première fois de sa vie. C’est l’heure du changement de couches. Stéphanie met des gants, change la culotte d’entraînement de Marcus, enlève les gants, en enfile de nouveaux, désinfecte le matelas. Elle répète le manège quatre fois. « J’ai tellement chaud. Je suis en sueur », dit-elle en montrant la visière.

Pendant ce temps, Marcus renverse sans le vouloir une boîte qui se trouve sur une bibliothèque. Plusieurs jouets tombent dans l’espace de Félix. Stéphanie enlève sa visière et la pose involontairement dans de l’eau. Elle doit la désinfecter avant de poursuivre sa tâche.

Même si elle est peut-être découragée, elle ne le fait pas sentir aux enfants.

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Stéphanie Poirier désinfecte le matelas entre deux changements de couches. Sous sa visière, l’éducatrice trouve qu’il fait chaud.

Désinfecter au centuple

Karine Dupuis s’occupe normalement des enfants de 3 ans. Mais pas pour les prochaines semaines. L’énergique éducatrice promène un chariot au rez-de-chaussée et à l’étage de la garderie privée non subventionnée. Elle ramasse des boîtes de jouets avec lesquels les enfants ont fini de jouer et désinfecte chaque objet dans un lave-vaisselle commercial. La quantité de babioles à désinfecter ne diminue pas de la journée.

« J’avais peur de ne pas voir les enfants beaucoup. Finalement, ça va. Je rentre dans les classes pour faire des petits coucous », dit-elle en sortant d’un local où des enfants se dégourdissent les jambes chacun dans leur périmètre.

Marie-Joe Ravier et la dizaine d’éducatrices sont rassurées par le déroulement de leur première journée post-confinement. Mais seulement 25 % des enfants étaient présents à la garderie, tel que l’a décrété par le gouvernement du Québec. Elles savent que la distanciation sera plus difficile et que la désinfection sera plus laborieuse quand tous les enfants seront de retour dans les classes quelque part en juin. Mais elles essaient de ne pas trop y penser.

« On va y aller un jour à la fois », résume Stéphanie Poirier.