Atteintes aux reins, problèmes neurologiques, caillots sanguins, troubles cardiaques : les médecins découvrent que la COVID-19 ne s’attaque pas qu’aux poumons et semble parfois viser d’autres organes. Même les orteils des enfants sont sur le radar. Ces manifestations, bien que rares, intriguent de plus en plus les scientifiques.

Des patients en détresse respiratoire, le Dr Yves Longtin en voit défiler plusieurs ces jours-ci à l’Hôpital général juif. Mais parmi ces malades aux manifestations typiques de la COVID-19 sévère, celui qui est chef de l’Unité de prévention et contrôle des infections voit aussi se faufiler des cas plus intrigants.

« Nous avons des cas d’anosmie [perte d’odorat], de coagulopathie, d’atteintes cutanées. Les atteintes aux reins et au foie sont aussi fréquentes dans les cas sévères », dit-il.

Michaël Chassé, intensiviste au CHUM, note le même phénomène. « Il faut dire d’entrée de jeu que pour la majorité des gens, le virus est relativement bénin. Les gens ne se sentiront pas bien, mais ne développeront pas de complications graves », tient-il à préciser.

Mais la minorité de patients qui se retrouvent aux soins intensifs finit par former un volume important. « Comme on en a beaucoup, on commence à voir des formes rares de l’infection virale. On parle de gens qui ont des atteintes cardiaques, des atteintes aux reins ou au foie. On se pose aussi des questions au sujet de symptômes au cerveau – confusion ou accidents vasculaires cérébraux », dit le Dr Chassé.

« La maladie peut attaquer presque n’importe quoi dans le corps avec des conséquences dévastatrices. Sa férocité est époustouflante et force l’humilité », affirmait récemment le cardiologue américain Harlan Krumholz dans un article publié sur le site web de la revue Science.

Au CHUM, le Dr Chassé incite à être prudent avant de lier tous les problèmes observés à la COVID-19. Les patients qui se retrouvent aux soins intensifs à cause de la maladie sont souvent âgés et souffraient déjà de toutes sortes de problèmes de santé, dit-il.

Tout le monde est très vigilant actuellement, on surveille tous les signes. On observe des choses qu’on croit liées au virus, mais peut-être que le patient aurait fait ça de toute façon.

Le Dr Michaël Chassé, intensiviste au CHUM

Ses observations lui font quand même dire qu’au moins une partie des problèmes observés semble réellement liée à la COVID-19. Et il est difficile de savoir exactement ce qui les cause. La première possibilité est une attaque directe du virus. On sait que celui-ci utilise des portes d’entrée appelées ACE2 pour infiltrer les cellules du système respiratoire. Or, ces protéines se trouvent aussi dans plusieurs autres organes du corps, dont les reins, le foie, le cerveau et les intestins.

« On a des [preuves], aujourd’hui, que le virus pourrait atteindre directement le foie et les reins », dit Michaël Chassé, du CHUM.

Mais certains dommages découlent aussi probablement de la guerre que le corps déclenche contre le virus. Des attaques du système immunitaire pourraient rater leur cible et se retourner contre certains organes. L’inflammation déclenchée pour combattre le virus peut aussi faire des dommages.

« C’est probablement un mélange de tout ça. Il y a probablement des situations où c’est le virus qui infecte directement des organes, et d’autres où c’est la réaction du corps contre le virus qui attaque par accident certaines parties du corps », juge Michaël Chassé.

Quelques manifestations relevées par les médecins dans le monde

Cerveau

Confusion, inflammation du cerveau, accidents vasculaires cérébraux, perte du goût et de l’odorat : certaines manifestations semblent suggérer que le virus peut remonter par le nerf optique pour infecter le cerveau.

Yeux

Les conjonctivites et des inflammations de l’œil semblent relativement fréquentes chez les patients atteints de la COVID-19. L’intensiviste Michaël Chassé rappelle que les protéines ACE2 qui permettent au virus d’infiltrer nos cellules sont présentes dans les yeux.

Nez

L’une des hypothèses pouvant expliquer la perte de l’odorat est que le virus pourrait migrer des voies respiratoires vers le haut du nez et y endommager les terminaisons nerveuses.

Poumons

C’est là que le virus cause les attaques les plus fréquentes. Une partie des dommages est directe : le virus infiltre les cellules respiratoires, les transforme en usines à produire des virus et finit par les tuer. Mais l’inflammation et l’accumulation de cellules immunitaires venues combattre le virus semblent expliquer les problèmes les plus sévères. Le patient tousse et a de la difficulté à respirer.

Cœur et vaisseaux sanguins

On a découvert récemment que le virus semble favoriser l’apparition de petits caillots dans le sang, qui peuvent bloquer la circulation à toutes sortes d’endroits. Des rapports émanant des États-Unis et de la Chine font mention de patients jeunes et en santé victimes d’infarctus. « On note que les gens atteints de la COVID-19 semblent avoir un risque augmenté de faire des thromboses et des embolies pulmonaires – des caillots dans les poumons », dit le Dr Michaël Chassé. Une étude clinique canadienne menée dans plusieurs hôpitaux vise à vérifier si les patients qui prennent des anticoagulants s’en sortent mieux que les autres.

Foie

Une étude chinoise menée sur 148 patients hospitalisés a rapporté que la moitié d’entre eux présentaient des anomalies au foie. Une autre étude publiée dans The Lancet suggère toutefois que les atteintes graves sont rares.

Reins

Les médecins rapportent des dommages aux reins relativement fréquents chez les patients sévèrement atteints, ce qui pourrait réduire les chances de survie.

Endothélium

L’endothélium est la couche interne des vaisseaux sanguins, qui est en contact avec le sang. Des études suggèrent que l’épithélium, qui traverse de nombreux organes, pourrait être directement infecté par le virus et causer des problèmes un peu partout dans le corps.

Orteils

Plusieurs médecins à travers le monde ont noté une recrudescence de patients présentant des orteils bleus, comme s’ils étaient gelés. Ce problème de la peau, qui ne semble pas grave et finit par disparaître, toucherait en particulier les enfants. « On en a eu ici, et on voit des manifestations qu’on ne voit pas habituellement – ça ressemble à des engelures et ce n’est pas la saison », dit Caroline Quach-Thanh, responsable de l’unité de prévention et contrôle des infections au CHU Sainte-Justine. Plusieurs enfants ont passé un test de COVID-19 qui s’est avéré négatif, mais il se pourrait qu’il s’agisse d’une manifestation tardive, qui apparaît quand la charge virale n’est plus détectable. « Pour l’instant, ce sont des associations temporelles. Ça semble être dû à la COVID, mais on ne peut pas le garantir », dit la Dre Quach-Thanh.