(Québec) Au moment où l’on manque de personnel pour augmenter davantage les tests de dépistage de la COVID-19, l’ajout de professionnels pouvant effectuer les prélèvements est enlisé dans la bureaucratie. Les différents acteurs se renvoient la balle.

Un nombre limité de professionnels sont autorisés à faire le prélèvement, qui s’effectue au moyen d’un long coton-tige, l’écouvillon, que l’on insère profondément dans le nez. Il s’agit d’un acte réservé en gros aux médecins, aux infirmières et aux inhalothérapeutes.

Le mois dernier, les physiothérapeutes ont obtenu la permission d’effectuer les tests de dépistage eux aussi, en vertu d’une entente entre leur ordre professionnel et le Collège des médecins. C’était à l’initiative du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui voulait que ses infirmières et ses inhalothérapeutes puissent se consacrer surtout à soigner des patients. Avec plus de 11 000 travailleurs manquant dans le réseau de la santé, la demande est grande pour que davantage d’infirmières soient dans les hôpitaux et les CHSLD.

Au cours du dernier mois, beaucoup d’autres ordres professionnels, comptant des milliers de membres, ont réclamé le pouvoir de faire des prélèvements, avec l’appui de la communauté médicale. Or l’Office des professions a demandé que, contrairement à ce qui s’est produit avec les physiothérapeutes, toute demande soit traitée par lui.

Mais les demandes restent jusqu’ici sans résultat, a déploré le Collège des médecins. Il « demande à l’Office des professions d’autoriser dès maintenant que les dentistes, les hygiénistes dentaires, les diététistes, les audiologistes et les orthophonistes puissent effectuer le test de dépistage de la COVID-19 aux patients chez qui on suspecte une infection au coronavirus ». 

Cette autorisation est essentielle selon lui pour atteindre la cible des 14 000 tests quotidiens, surtout dans le contexte où le taux d’absentéisme du personnel soignant est élevé.

« Je ne sais pas où ça bloque », a affirmé son président, Mauril Gaudreault, en entrevue. 

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins

On pense qu’il faut que des professionnels actuellement disponibles puissent participer [au dépistage massif]. À des situations exceptionnelles, il faut apporter des solutions qui le sont tout autant.

Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins

Le président de l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec, Denis Pelletier, se désole de la situation, alors que son entente avec le Collège « s’est réglée en 24 heures ». « L’Office des professions nous semble manquer d’agilité et de souplesse. Ça n’aide pas », a-t-il lancé.

Le porte-parole de l’Office, Jacques Nadeau, a soutenu que toutes les demandes d’ordres professionnels étaient analysées. Mais « l’Office des professions n’a pas le pouvoir d’autoriser des professionnels à effectuer des activités professionnelles ». Il a insisté : c’est la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, qui détient ce pouvoir et peut agir par arrêté ministériel. « Nous, on recommande et on collabore avec le ministère de la Santé », a-t-il ajouté, en précisant que l’Office relève par ailleurs du ministère de la Justice, qui a son mot à dire.

« Travaux en cours »

L’Office a-t-il fait des recommandations favorables au ministère de la Santé pour élargir rapidement les prélèvements à d’autres professionnels ? « Je ne saurais vous le dire. Demandez au ministère de la Santé », a répondu M. Nadeau.

Au cabinet de la ministre Danielle McCann, on se contente de dire que « des travaux sont constamment en cours » sur le sujet. Une source au ministère de la Santé signale que les discussions impliquent aussi le ministère de la Justice.

Dès le début du mois d’avril, l’Ordre des hygiénistes dentaires du Québec a manifesté au ministère de la Santé la volonté que ses membres puissent faire des prélèvements. « On pensait que le Ministère dénouerait le dossier. Naïvement, on l’a cru. On n’a pas eu vraiment de suivi », a laissé tomber sa présidente, Diane Duval. On lui a suggéré récemment de faire une demande à l’Office des professions.

Mme Duval rappelle que nombre de ses membres sont disponibles puisque les cliniques dentaires sont fermées, sauf pour les urgences. 

Tout le système des activités réservées, c’est lourd. Mais en ce temps de pandémie, il me semble que l’on pourrait dénouer rapidement cette situation.

Diane Duval, présidente de l’Ordre des hygiénistes dentaires du Québec

L’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec a demandé dès le 6 avril le pouvoir de faire des prélèvements, satisfait que le Collège des médecins ait reconnu rapidement la compétence de ses membres. Il n’y a pas eu de suivi à Québec. 

« Le temps a passé et, lorsqu’il y a eu l’annonce sur le dépistage massif [le 1er mai], on a relancé l’Office, et la réponse est restée la même : on va regarder ça. On ne comprend pas où ça bloque », a témoigné son président, Paul-André Gallant. Il est encore plus contrarié de la situation en constatant que le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, se plaint que le manque de personnel explique que le nombre de tests de dépistage n’augmente pas aussi vite que prévu.

Il a rappelé que 40 % de ses 3500 membres travaillent dans le réseau de la santé et 30 % dans les écoles, qui rouvriront leurs portes lundi dans plusieurs régions et où l’on devra faire des tests selon la stratégie de dépistage annoncée.

L’OIIQ montré du doigt

Au gouvernement, on réplique que le dossier s’embourbe en raison de la résistance de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), un avis que partagent au moins deux autres ordres professionnels qui ont préféré ne pas être nommés.

Dans un message que La Presse a obtenu, son président, Luc Mathieu, a dit en avril que « plusieurs questions nécessitent d’être éclaircies » avant d’avoir son accord pour permettre à d’autres professionnels de faire des prélèvements. L’OIIQ a déclaré à La Presse vendredi qu’elle ne s’opposait pas aux demandes des autres ordres professionnels.