Le remdésivir est le seul médicament approuvé par les autorités américaines contre la COVID-19, ce qui amène une question aussi cruciale que difficile : combien coûtera le traitement ? Une étude dévoilée cette semaine conclut qu’une injection pourrait revenir aussi bien à moins de 1 $ US par jour… qu’à 450 $ US l’injection.

Pour un traitement de 10 jours, on se retrouve avec un fossé allant de 10 $ US à 4500 $ US.

« Je ne peux pas me prononcer sur ce que sera le prix du remdésivir. Il y a toujours plusieurs facteurs qui entrent en jeu pour fixer le prix d’un médicament et nous sommes en plus dans un contexte exceptionnel. On est dans une situation de pandémie et d’urgence internationale, ce qui complexifie l’analyse » dit Dan Cooper, pharmacien, pharmacoéconomiste et pharmacoépidémiologiste.

Chose certaine, tous les yeux sont fixés sur le fabricant du remdésivir, la société américaine Gilead — une entreprise qui a déjà été accusée d’avoir favorisé les profits au détriment de l’accès aux traitements au terme d’une enquête du Sénat américain portant sur le prix de ses médicaments contre l’hépatite C.

On est dans une politisation à plein nez des coûts et même des bénéfices cliniques du remdésivir.

Marc-André Gagnon, spécialiste des politiques pharmaceutiques à l’Université Carleton

Originalement développé contre l’Ebola, le remdésivir a été approuvé d’urgence par la Food and Drug Administration la semaine dernière pour les patients sévèrement atteints de la COVID-19. La décision suit le dévoilement de données préliminaires d’une étude menée par les National Institutes of Health (NIH) des États-Unis portant sur 1063 patients hospitalisés à cause de la COVID-19. Selon les NIH, les patients ayant été traités au remdésivir ont récupéré 31 % plus rapidement que ceux ayant reçu un placebo. Aucune baisse statistiquement significative de la mortalité n’a toutefois été observée.

Les données complètes de l’étude n’ont pas encore été publiées dans une revue scientifique ni révisées par les pairs. Notons qu’une étude chinoise, portant sur moins de patients et qui avait dû être interrompue faute de nouveaux malades, n’avait quant à elle pas montré d’avantages du remdésivir par rapport au placebo.

Santé Canada rappelle de son côté que le remdésivir « est toujours considéré comme un traitement expérimental pour la COVID-19 » au pays. Le Ministère affirme être « en communication régulière avec Gilead Sciences concernant l’accès continu au remdésivir et leurs plans futurs pour déposer une demande d’examen ». Plusieurs observateurs s’attendent à ce que le produit soit aussi approuvé au Canada, ce qui rend la question du prix d’autant plus pertinente pour les Canadiens.

Deux méthodes de calcul

Pour arriver à des chiffres autant aux antipodes que 10 $ et 4500 $ pour un traitement de 10 jours, l’Institute for Clinical and Economic Review (ICER), groupe de recherche indépendant, a utilisé deux méthodes différentes pour évaluer ce qui serait un prix correct pour le remdésivir.

Première méthode : calculer combien Gilead doit vendre le remdésivir pour couvrir ses coûts de production (achats d’ingrédients actifs et non actifs, emballage, petite marge de profit). L’ICER arrive à un coût de 9,32 $ US pour un traitement de 10 jours, qu’il arrondit à 10 $ US (environ 14 $ CAN). La firme considère que les coûts de recherche et développement sont nuls, puisque le médicament a d’abord été développé pour l’Ebola et l’hépatite.

Deuxième méthode : évaluer les gains sur la qualité et la durée de vie des patients qu’apporte le médicament. Le calcul est notamment basé sur une estimation bien particulière : la valeur qu’on accorde à une année de vie de « qualité » que pourrait faire gagner un médicament. Dans l’analyse de l’ICER, cette valeur a été fixée à 50 000 $ US.

« Ce critère reflète ce que le système de santé américain est prêt à payer pour gagner une année de vie de bonne qualité, explique le pharmacoéconomiste Dan Cooper. Ce seuil de 50 000 $ US est souvent cité aux États-Unis — même au Canada, on utilise souvent 50 000 dollars canadiens. »

Le calcul final arrive à un prix de 4500 $ US (environ 6300 $ canadiens). Le hic est que sans les données complètes de l’étude, l’évaluation des bénéfices du remdésivir est, au mieux, approximative.

Il y a vraiment beaucoup d’hypothèses dans cette évaluation et le résultat m’apparaît très incertain.

Dan Cooper, pharmacien, pharmacoéconomiste et pharmacoépidémiologiste

« Les données disponibles sont limitées et le niveau de preuve n’est pas optimal. Ils ont dû faire des hypothèses sur les bénéfices du médicament en termes de réductions du temps d’hospitalisation et du recours aux soins intensifs, par exemple », poursuit M. Cooper

Marc-André Gagnon, de l’Université Carleton, pense la même chose, surtout que l’étude des NIH a été interrompue afin de donner le remdésivir aux patients qui consommaient le placebo pour des raisons « éthiques » — une décision qui, selon le professeur Gagnon, empêchera de bien évaluer les effets thérapeutiques et secondaires du remdésivir.

« Il s’agit peut-être d’un excellent médicament, mais on a des problèmes pour faire sortir les données probantes. Il y a beaucoup de hype et de politique autour de tout ça », juge-t-il.

Notons que les gouvernements disposent aussi d’un outil appelé « licence obligatoire » qui permettrait essentiellement de contourner le brevet de Gilead et d’autoriser la fabrication du remdésivir par d’autres entreprises. Le Brésil, notamment, a déjà envoyé des signaux qu’il pourrait suivre cette direction.

Dans la presse américaine, le président de Gilead, Daniel O’Day, s’est voulu rassurant. « Nous comprenons la responsabilité que nous avons en tant qu’entreprise, a-t-il notamment affirmé à la publication STAT. […] Nous allons nous assurer que l’accès à ce médicament ne sera pas un enjeu. »

En bref

Tester la « molécule du jus d’orange »

L’hespéridine, une molécule qu’on retrouve notamment dans le jus d’orange, mérite d’être testée contre la COVID-19. C’est en tout cas l’avis de Jocelyn Dupuis, cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal, qui a fait une évaluation scientifique des données relatives à cette molécule. L’idée avait été proposée par le scientifique et entrepreneur québécois Pierre Laurin, qui n’a aucun intérêt financier dans ce produit. « Je crois que l’hespéridine mérite d’être évaluée par une étude clinique randomisée à double insu. Nous travaillons sur un protocole en collaboration avec M. Laurin », a dit le DDupuis à La Presse, mentionnant être à la recherche de financement.

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— Philippe Mercure, La Presse

Feu vert pour une étude sur un médicament québécois

L’entreprise québécoise Laurent Pharma a reçu le feu vert de Santé Canada pour tester son médicament appelé LAU-7b contre les complications graves de la COVID-19. L’entreprise espère que cette molécule, appelée fenrétinide, pourra freiner la réponse inflammatoire excessive qui semble causer l’insuffisance respiratoire aiguë chez les patients gravement atteints. L’essai sera mené « prochainement » auprès de 200 patients hospitalisés dans plusieurs hôpitaux canadiens, a annoncé l’entreprise. Les tests préliminaires laissent croire que la fenrétinide ne supprime pas complètement l’inflammation, qui peut être bénéfique pour lutter contre le virus, mais l’empêche de s’emballer. Le médicament était déjà testé par l’entreprise pour contrer l’inflammation des poumons chez des patients atteints de fibrose kystique.

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— Philippe Mercure, La Presse

La COVID-19 transmise sexuellement ?

Le virus SARS-CoV-2, responsable de la COVID-19, est présent dans le sperme de certains patients, ont annoncé des chercheurs chinois jeudi dans le Journal of the American Medical Association (JAMA). La présence du virus a été détectée dans le sperme de 16 % des 38 hommes testés à l’hôpital municipal de Shangqiu, au sud de Pékin. Les chercheurs précisent qu’ils n’ont pas vérifié si le virus présent dans le sperme était actif et capable d’infecter une autre personne. Une autre étude, réalisée en mars auprès de 19 hommes, n’avait pas trouvé de SARS-CoV-2 dans le sperme. « Éviter tout contact avec la salive et le sang d’un patient pourrait ne pas être suffisant, puisque la survie du SARS-CoV-2 dans le sperme indique une possibilité de transmission », concluent les auteurs.

— Mathieu Perreault, La Presse

Une tuile pour la chloroquine

Une première grande étude américaine a conclu jeudi que l’hydroxychloroquine n’aide pas à guérir la COVID-19. Ce médicament antipaludique, aussi utilisé contre les rhumatismes, a fait les manchettes quand un chercheur français, Didier Raoult, a affirmé en mars l’avoir utilisé pour traiter avec succès des patients. L’étude américaine, publiée dans le New England Journal of Medicine, est la plus importante jusqu’ici, avec 1376 patients, mais n’avait pas de groupe contrôle. Les patients recevant de l’hydroxychloroquine ne guérissaient pas plus vite et n’étaient pas moins malades. Une étude pancanadienne avec groupe contrôle sur l’hydroxychloroquine comme prophylaxie (protection) contre la COVID-19 est dirigée à Montréal depuis l’Université McGill.

— Mathieu Perreault, La Presse