(Québec) Embauche accélérée, recrutement sept jours sur sept, formation et intégration en série. Le réseau de la santé québécois déploie un véritable « effort de guerre » pour pallier le manque de main-d’œuvre, surtout en CHSLD. Et malgré l’embauche d’au moins 9800 nouveaux travailleurs, les besoins s’estiment encore par milliers, selon les données compilées par La Presse.

« On n’a pas encore gagné la bataille. Il faut vraiment stabiliser davantage nos établissements, nos CHSLD, et c’est ce qu’on est en train de faire », a lancé mercredi la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, au moment même où 400 militaires étaient déployés dans huit CHSLD du Grand Montréal.

Au moins 4000 embauches ont été faites dans les CIUSSS de Montréal. Plus de 1000 au CISSS de la Montérégie-Est, 1373 au CIUSSS de la Capitale-Nationale et environ 600 au CISSS de Laval. En six semaines, les principaux établissements de santé de la province ont mis le pied sur l’accélérateur en procédant à près de 10 000 embauches, selon nos informations.

C’est pourtant encore insuffisant alors que 10 428 employés sont absents du réseau en raison de la COVID-19.

Les besoins fluctuent à une vitesse effarante et sont tels que bien des établissements n’ont pas été en mesure de fournir une estimation à La Presse. Il a d’ailleurs fallu attendre plusieurs jours avant d’obtenir certains chiffres.

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal est, à lui seul, à la recherche de 1441 ressources pour ses 17 CHSLD. Au moins 410 postes de préposé aux bénéficiaires et d’infirmière sont ouverts dans le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Et l’estimation a été donnée avant que l’on rapporte l’éclosion à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. On recherche 900 employés à Québec.

Des 15 établissements interrogés par La Presse, huit ont accepté d’évaluer leurs besoins. Selon les informations colligées, il manque encore au moins 5000 employés dans le réseau. Le Ministère ne fournit pas non plus de portrait précis de la pénurie de main-d’œuvre, renvoyant au chiffre d’employés absents du réseau.

Embauches / besoins par établissement

•CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal : 400 / n/d

•CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal : 290 / n/d

•CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal : 2000 / 1441

•CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal : 730 / 410

•CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal : 575 / 300

•CISSS de Laval : 600 221 CISSS de la Montérégie-Est : + 1000 / 700

•CIUSSS de la Capitale-Nationale : 1373 / 900

•CISSS de Lanaudière : 698 n/d CIUSSS de l’Estrie–CHUS : 596 / n/d

•CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec : 662 / 475

•CISSS des Laurentides : 835 / 400

* Données fournies par les établissements entre le 23 et le 27 avril 2020

** Les chiffres comprennent les embauches régulières et celles en temps de pandémie

« Comme à la guerre »

« C’est comme à la guerre. » La présidente-directrice générale de l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux, Carole Trempe, ne trouve pas d’autres comparaisons. « Les [directeurs des ressources humaines dans les zones chaudes], ils travaillent 100 heures par semaine », indique-t-elle.

Le premier ministre François Legault a multiplié les appels pour obtenir des renforts dans la lutte contre la COVID-19, particulièrement féroce dans les CHSLD. Après les volontaires, les retraités, les étudiants, les enseignants et les médecins, il a dû se résigner à demander le déploiement de 1000 soldats de l’armée canadienne.

La lourdeur bureaucratique pour concrétiser l’arrivée des renforts dans le réseau a été largement critiquée depuis le début de la crise. « Quand on est à la guerre, on est à la guerre : on fait ce qu’on peut. Est-ce que c’est une situation optimale ? Non. Pourquoi on se ramasse là ? Pour un paquet de facteurs », ajoute Mme Trempe.

« Le réseau de la santé et des services sociaux, c’est un des réseaux les plus complexes avec les centrales nucléaires », illustre-t-elle.

Tout est imbriqué, c’est complexe et il faut composer avec cette situation-là, mais ce que ça donne, c’est que sur le plan humain, c’est extrêmement exigeant.

Carole Trempe, présidente-directrice générale de l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux

Selon le président de la FSSS-CSN, Jeff Begley, la crise « ne pouvait pas tomber au pire moment » alors que le réseau était déjà fragilisé par une importante pénurie de main-d’œuvre. « C’était inévitable, à mon avis. Il manquait régulièrement de 10 à 15 % des ressources sur le plancher en CHSLD avant la pandémie », relate-t-il.

François Legault a lui-même admis que les CHSLD étaient mal préparés et composaient avec un grave manque de personnel. Il s’est excusé notamment de ne pas avoir augmenté le salaire des préposés aux bénéficiaires plus tôt. Les absences en lien avec la COVID-19 ont ajouté une pression énorme sur le réseau.

La peur d'une deuxième vague

Alors que des employés tombent malades tous les jours et que les besoins demeurent si grands malgré des milliers d’embauches, on craint que le personnel, déjà à bout de bras, ne résiste pas à une deuxième vague d’infections à la COVID-19. « Le monde est sur l’adrénaline, les employés veulent répondre au besoin », dit M. Begley.

« Mais il y a une limite à l’adrénaline, et c’est la fatigue qui s’installe », ajoute-t-il, assurant néanmoins que la situation s’est quelque peu améliorée dans les CHSLD « chauds » avec l’arrivée des renforts. La préoccupation est la même du côté des gestionnaires, dont une centaine ont été déployés sur le terrain.

« C’est colossal, ce que les gestionnaires ont fait, en termes d’adaptation, pour mettre en place des choses qui parfois demandaient des années. Ça va avoir un prix émotionnellement et mentalement. Je suis très préoccupée de la suite des choses », a fait valoir la présidente-directrice générale de l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux, Chantale Marchand.

Carole Trempe est du même avis. « J’ai beaucoup d’inquiétude pour ce qui va survenir à court terme parce que c’est impossible que les gens qui travaillent comme ils travaillent en ce moment puissent continuer à ce rythme-là bien longtemps, malgré leurs bonnes intentions », dit-elle, déplorant un certain manque de reconnaissance du gouvernement pour les gestionnaires et cadres du réseau.

François Legault a indiqué lundi être « en train de combler tous les postes, de reprendre le contrôle dans [les] résidences pour aînés » alors que 11 000 nouveaux volontaires ont levé la main pour être déployés dans le réseau. Au Ministère, on indique que « ces candidatures sont en traitement ».

On confirme également que, depuis le début de la pandémie, la plateforme Jecontribue.ca a permis l’embauche de 5310 personnes. Le réseau peut aussi compter sur l’aide des médecins spécialistes et des omnipraticiens envoyés en renfort. Pour les embauches d’enseignants, étudiants et techniciens, il est « trop tôt » pour avoir une estimation, indique-t-on au Ministère.