Le mot clé, a dit la vice-première ministre, c’est vraiment la discipline.

Elle l’a répété plusieurs fois lors du point de presse. Discipline, discipline, discipline…

Ce qui n’a pas empêché un autre mot, prononcé une seule fois, de voler la vedette au mot clé désigné : « docile ».

Si on est « dociles », on va réussir notre plan de réouverture sans relancer la pandémie, a dit en substance Geneviève Guilbault.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Geneviève Guilbault, vice-première ministre du Québec

L’appel à la docilité a été accueilli avec une bonne dose d’indocilité. Devant le tollé, la ministre de la Sécurité publique a dû clarifier son propos. Après le point de presse, elle a fait cette précision sur son fil Twitter : « La langue française est si belle et variée… que j’aurais dû employer le terme “discipliné” plutôt que “docile” lors du point de presse aujourd’hui. Loin de moi l’idée d’offenser qui que ce soit, au contraire ! Les Québécois sont exemplaires depuis le début. Gardons le cap ! »

Comme d’autres, j’avais un peu tiqué en entendant l’appel à la docilité et j’ai apprécié la précision qui a suivi. La communication en temps de crise est un exercice d’équilibriste ardu et complexe. Pour arriver à convaincre les citoyens de respecter les mesures de santé publique qui s’imposent, le choix des mots n’est jamais anodin. Mais on comprend que, dans le feu de l’action, un mot ou une phrase mal choisis puissent se glisser dans un discours.

Cela dit, il y a un autre mot qui est passé plus inaperçu durant ce point de presse qui m’a fait tiquer beaucoup plus que « docile » bien qu’il n’ait pas suscité le même tollé. Je parle du mot « obéissant ».

« Les Québécois sont exemplaires depuis le début, donc je leur demande de continuer à être obéissants et de se conformer aux directives de santé publique, malgré les annonces de réouverture graduelle qui sont faites depuis trois jours », a dit la vice-première ministre.

Alors que nous vivons une crise sanitaire sans précédent et que le respect des consignes est une question de vie ou de mort, il est bien entendu très important de respecter les directives de santé publique. Que l’on en appelle au sens des responsabilités des citoyens, à la nécessité d’être solidaires, de protéger les plus vulnérables, c’est non seulement légitime, mais primordial.

Là où je ne suis pas, c’est lorsque cette responsabilité est présentée comme un devoir d’obéir.

Même en temps de crise, je ne voudrais pas vivre dans une société qui me demande de me soumettre aveuglément aux ordres en laissant mon esprit critique au vestiaire.

De façon générale, le gouvernement a fait jusqu’à présent un très bon travail de communication. Malgré quelques faux pas, il a su se montrer rassurant et bon pédagogue.

Mais alors que la situation se corse, que les morts s’accumulent et que l’on avance dans le noir en sachant que nous devrons apprendre à vivre avec cette pandémie pendant des mois encore, je ne veux pas que l’on me demande de faire vœu d’obéissance. Je veux que l’on me convainque encore, données probantes à l’appui, que la voie choisie est la bonne. Que l’on s’assure de faire un bon travail de pédagogie, sans démagogie. Que l’on réponde à nos questions. Que l’on soit transparent, que l’on nous dise clairement ce que l’on sait, ce que l’on ignore, ce que l’on vise, ce que l’on craint.

Que l’on explique comment on peut dire que « la situation continue de bien aller » alors que l’on parle au même moment d’éclosions de COVID-19 dans des hôpitaux de Montréal et que le Québec est l’un des endroits en Amérique du Nord où le virus a fait le plus de morts en proportion. Que l’on explique encore pourquoi on envisage un retour des élèves du primaire en classe alors que l’Institut national de santé publique du Québec dit que cela risque de provoquer une forte augmentation de la maladie dans la population adulte et entraîner un grand nombre d’hospitalisations.

On m’accusera de jouer à la gérante d’estrade, comme il est de bon ton de le faire ces temps-ci avec les journalistes qui ne font pourtant que leur travail en questionnant le gouvernement. Sans minimiser la difficulté du travail de nos dirigeants, il me semble que, même en temps de crise, l’obéissance aveugle est une pire menace que le sens critique.