Le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec interpelle le gouvernement Legault pour qu’il commence à regarder ce qu’il se passe dans les 17 prisons de la province, pour ne pas que la situation devienne hors de contrôle.

Il demande également une plus grande aide de la Santé publique, « qui n’était visiblement pas prête au contexte des établissements carcéraux », affirme son président, Mathieu Lavoie.

Le syndicat craint une éclosion de la COVID-19 à l’Établissement de détention de Montréal (Bordeaux), la plus grosse prison provinciale du Québec, avec environ 1100 détenus actuellement.

Huit agents correctionnels de Bordeaux ont été déclarés positifs ces derniers jours. Quatre autres, qui présentent des symptômes, ont été testés et les résultats sont toujours attendus.

Treize détenus du secteur E, l’un des plus grands secteurs de la prison avec 170 personnes incarcérées, sont maintenant infectés à la suite de tests effectués en fin de semaine et dont les résultats ont été obtenus aujourd’hui. Ils ont tous été placés en isolement. Mais le secteur E est un pavillon de détenus travailleurs, qui se déplacent dans la prison. Une demi-douzaine d’autres détenus, qui présentent des symptômes, ont été testés en fin de semaine et les autorités attendent encore les résultats.

À l’Établissement de détention Rivière-des-Prairies, une autre prison importante dans l’est de Montréal, une agente a reçu un résultat de test positif en fin de semaine et une demi-douzaine de ses collègues ont été envoyés à la maison durant 14 jours, par mesure préventive, car ils ont été en contact avec l’agente infectée.

Pour le moment, aucun détenu n’a contracté le coronavirus, mais le syndicat est inquiet. « On ne sait pas comment ça va virer Rivière-des-Prairies », affirme Mathieu Lavoie.

Comme les CHSLD

Selon le chef syndical, les agents correctionnels commencent à faire face à une nouvelle problématique : des détenus qui cachent leurs symptômes pour ne pas se retrouver en cellule 24 heures sur 24, durant 14 jours.

Il demande au gouvernement Legault de commencer à diriger ses radars vers les prisons et, à la Santé publique, de s’intéresser à la réalité des établissements carcéraux.

« Ils ont l’air de vouloir traiter les établissements carcéraux comme ils traitent la situation dans les CHSLD, les hôpitaux ou la société en général alors qu’une prison a des particularités. La Santé publique nous dit : “Ah, on devrait peut-être aller visiter pour comprendre comment ça se passe .” Voyons ! Cela fait plus d’un mois que la crise est commencée. Le premier ministre et la Santé publique ne pensaient peut-être pas que cela pouvait arriver dans les prisons, mais ailleurs, on a eu des exemples de ce qu’il pouvait se passer en prison », tonne Mathieu Lavoie selon qui les gens qui sont dans les prisons sont les oubliés de la crise.

« Il faut raffermir davantage les mesures. À Bordeaux, il y a une collaboration entre le syndicat et l’employeur pour limiter la propagation. Ils ont travaillé toute la fin de semaine sur les enquêtes épidémiologiques, mais la Santé publique à Montréal est débordée. C’est le Vietnam quand tu les appelles. Ils ne savent pas comment ça se passe dans une prison, le contexte sécuritaire, la distanciation », ajoute le chef syndical.

Même si ce n’est pas encore le cas, M.  Lavoie craint que des prisons en viennent à manquer d’équipements de protection, des jaquettes notamment. Il demande également que davantage de tests puissent être effectués à l’intérieur des murs.

Il craint de plus que trop d’agents deviennent infectés, ou soient envoyés à la maison par mesure de précaution, et qu’il n’y ait plus assez d’effectifs dans les prisons pour y assurer la sécurité.

« On ne peut pas mettre une pancarte au bord du chemin : “Fermée pour cause de manque de personnel !” Je comprends qu’il y a les CHSLD, le milieu hospitalier et que le gouvernement veut déconfiner pour l’économie, mais je ne voudrais pas, parce que les prisons, c’est à l’ombre, qu’on le reste également durant la pandémie », conclut Mathieu Lavoie.

La tension monte

À Bordeaux, les 170 détenus du secteur E sont confinés à leur cellule depuis la fin de semaine, ce qui a fait grimper les tensions entre eux et les gardiens, nous a confié un agent correctionnel sous le couvert de l’anonymat.

Des détenus dans les prisons québécoises s’apprêtent à s’adresser aux tribunaux dans le but de pouvoir être libérés et envoyés à la maison prématurément, pour ne pas contracter le coronavirus ou pour des raisons humanitaires.

« Je ne doute pas de la bonne volonté du personnel carcéral, mais ce sont des humains, des pères de famille, ils ont des enfants. Mon ex-conjoint n’est pas un tueur. Il me dit que cela ne lui dérange pas de faire du temps, mais il ne veut pas mourir pour quelques mois de prison », nous a dit Marie-Josée, dont l’ex-mari emprisonné a une condition médicale sérieuse.

« Mon gros problème avec la libération de détenus, c’est toujours la notion morale qu’il y a des victimes derrière les crimes de ces détenus. Au Québec, le système judiciaire fait en sorte que tous ceux qui n’étaient pas jugés à risque ou dangereux pour la société sont déjà dehors, grâce à d’autres mesures. Donc ceux qu’on a à l’intérieur, c’est parce que le Tribunal a considéré qu’on ne pouvait pas les laisser dans la société. Et actuellement, on n’est pas en surpopulation. Donc de mon côté, il faut plutôt avoir tous les outils et mesures pour contrer la propagation du coronavirus », croit pour sa part Mathieu Lavoie.

« Toutes les mesures mises en place par le ministère de la Sécurité publique (MSP) visent à protéger la santé des personnes incarcérées et les membres du personnel. Aussi, des tests de dépistage de la COVID-19 ont été effectués sur plusieurs personnes incarcérées, soit celles qui répondaient aux critères d’évaluation déterminés par la Santé publique. Soyez assuré que le MSP suit l'évolution de la situation de près et ajuste ses interventions selon l’avancement de celles-ci et des connaissances », a répondu à La Presse Louise Quintin, porte-parole du ministère de la Sécurité publique du Québec.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, ou écrivez à drenaud@lapresse.ca.