(Montréal) Tandis que la COVID-19 accapare l’attention du réseau de la santé, le milieu funéraire espère que la dignité des défunts et l’importance du processus de deuil ne seront pas supplantés dans les priorités collectives.

La Corporation des thanatologues du Québec déplore le recours à des conteneurs réfrigérés comme morgues de fortune dans certains hôpitaux et centres d’hébergement et de soins de longue durée, dépassés par la pandémie.

Dans un courriel à La Presse canadienne, une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux explique qu’il a été demandé aux établissements de prévoir « un volet portant sur la gestion des dépouilles » dans leur plan de lutte à la COVID-19, ce qui comprend, au besoin, le recours à des « espaces réfrigérés alternatifs ».

Du côté du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, qui dessert le plus grand territoire sur la métropole, on indique que les hôpitaux Lakeshore et de LaSalle, de même que l’Institut Douglas ont aménagé de telles morgues temporaires, où les dépouilles peuvent être entreposées dans l’attente de leur prise en charge par des maisons funéraires.

La directrice générale de la Corporation des thanatologues, Annie Saint-Pierre, nie que les entreprises funéraires sont débordées et évoque des délais imputables à un « manque de suivi » au sein du réseau de la santé, dont les morgues seraient d’ailleurs inadaptées.

« C’est documenté depuis longtemps que l’état des morgues des centres hospitaliers est désuet. Les capacités sont minimes, souligne Mme Saint-Pierre. Et la plupart des CHSLD, toutes catégories confondues, privés, publics, n’ont pas de morgue dans leur établissement. »

Une certaine hésitation des familles endeuillées à convenir d’un arrangement y serait également pour beaucoup. Car pour prendre en charge un défunt, les entreprises funéraires doivent en en être mandatées par ses proches, rappelle Mme Saint-Pierre.

« Encore là, dans certaines pratiques, si les CHSLD n’ont même pas prévenu les familles du décès de leur proche, comment voulez-vous qu’elles mandatent une entreprise funéraire ? »

Patrice Chavegros, du groupe Athos, renchérit que plusieurs familles sont prises de court dans le contexte de la pandémie : « Du jour au lendemain, avoir le décès d’un proche qu’on n’avait pas prévu et qu’on ne peut souvent même pas voir, puis devoir prendre des décisions à chaud, c’est toute l’ampleur de la tragédie. On peut comprendre qu’il y ait des délais de réaction ».

Mais bien sûr, on ne meurt pas que de la COVID-19 au Québec.

Selon les chiffres de la Corporation des thanatologues, la province enregistre en temps normal entre 170 et 200 décès sur une base quotidienne. À ce nombre s’ajoute depuis quelques jours une centaine de morts liées au nouveau coronavirus, concentrées dans le Grand Montréal.

M. Chavegros, qui dirige les opérations d’Urgel-Bourgie à Montréal, constate effectivement un bond d’environ 50 % de la demande dans ses succursales. Il estime qu’« avec les moyens actuels », l’entreprise serait en mesure d’encaisser une augmentation de jusqu’à 70 % de l’achalandage.

« On ne peut pas mettre un deuil en suspens »

Puisque les services funéraires et les cimetières sont reconnus comme essentiels par le gouvernement, les cérémonies commémoratives peuvent suivre leur cours à condition de se conformer aux mesures de distanciation sociale, dans un contexte plus intime. Le nombre de proches pouvant se réunir pour saluer la mémoire d’un des leurs varie toutefois selon la capacité des salons, précise Mme Saint-Pierre, afin qu’ils puissent conserver deux mètres entre eux.

Un grand nombre de familles choisissent néanmoins de repousser leurs adieux. Mais le deuil, lui, ne peut pas être mis en suspens, souligne Mme Saint-Pierre.

Dans les cas de personnes ayant succombé à la COVID-19, les commémorations ne peuvent pas prendre place en présence d’un cercueil ouvert, en vertu des recommandations de l’Institut national de santé publique. La crémation et l’inhumation sont toutes deux autorisées, sauf dans des mausolées. L’aquamation est pour sa part interdite.

« Il n’y a pas d’embaumement ou aucun soin de thanatoproxie ni même de préparation de la dépouille possibles », expose Mme Saint-Pierre.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les cadavres ne semblent pas pouvoir transmettre la maladie, sauf par le biais de leurs poumons s’ils sont manipulés incorrectement. Les selles pourraient également représenter une source de propagation de la COVID-19.

Mais les services funéraires ne faisant pas partie du réseau de la santé, les entreprises doivent elles-mêmes doter leurs travailleurs d’équipement de protection adéquat.

La Fédération du commerce (FC-CSN), affiliée à la Confédération des syndicats nationaux, qui représente près de 350 travailleurs de l’industrie funéraire, réclame par ailleurs que des visières et des masques N95 soient mis à leur disposition en quantité suffisante, de même qu’une prime de risque, à l’instar de certains professionnels de la santé.

« Actuellement, il y a beaucoup d’énergie et d’efforts qui sont concentrés à guérir les malades, fait valoir Annie Saint-Pierre. Dans le domaine funéraire, on est le dernier maillon de la chaîne. »