Québec envisage des recours juridiques pour mettre fin « rapidement » aux pratiques « inacceptables » de certaines agences de placement de personnel dans le réseau de la santé, qui gonflent leurs prix et font du maraudage dans les hôpitaux ou les résidences pour aînés afin de revendre les services des travailleurs recrutés avec une facture salée.

« Ça n’a pas de bon sens, entre nous, que des agences profitent de la situation pour prendre un immense profit, puis de profiter du fait qu’on a une pénurie de main-d’œuvre », a déclaré le premier ministre François Legault en point de presse vendredi.

« On n’exclut rien. On regarde tout, que ce soit réglementaire, juridique. C’est inacceptable, alors on va procéder rapidement », a renchéri la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann.

La Presse a révélé vendredi matin que le ministère de la Santé et des Services sociaux avait constaté des pratiques qu’il considérait comme « abusives » de la part d’agences privées de placement d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et de préposés aux bénéficiaires, en pleine pandémie.

Des factures que La Presse a obtenues montrent que des agences ont gonflé leurs prix depuis le début de la pandémie. Par exemple, des agences qui facturaient 25 $ l’heure, plus taxes, pour les services de l’un de ses préposés aux bénéficiaires a fait passer la note à 40 $, voire 50 $ dans certains cas. Pour une infirmière auxiliaire, la facture atteint 70 $ l’heure ; pour une infirmière, plus de 90 $.

Des sources indiquent que des agences font du maraudage, attirent des employés des résidences avec des offres alléchantes. Elles revendent ensuite les services des recrues à gros prix.

Une autre agence facture même la prime de 4 $ l’heure créée par le gouvernement pour les préposés aux bénéficiaires dans les résidences. Elle le fait en plus rétroactivement au 20 février.

Le gouvernement a créé un programme de plusieurs dizaines de millions de dollars pour aider les résidences à embaucher du personnel. Des sources du réseau de la santé constatent que des agences de placement en profitent pour faire grimper les prix, en faisant valoir aux résidences que le gouvernement paiera la note au bout du compte.

Tous les jours

Hélène Gravel, présidente de l’Agence Continuum, a refusé d’augmenter ses prix pour le placement d’infirmières, d’infirmières auxiliaires et de préposés aux bénéficiaires depuis le début de la crise. Résultat ?

« Mon chiffre d’affaires a baissé de moitié. On garde les mêmes taux qu’on avait dans les appels d’offres, mais nos employés sont maraudés », déplore la gestionnaire.

Du monde qui essaie de voler notre personnel, ça arrive tous les jours. Juste au cours de la dernière semaine, c’était sur la Côte-Nord et aux Îles-de-la-Madeleine.

Hélène Gravel

Elle explique que son agence doit payer pour la formation d’une infirmière lorsque celle-ci est envoyée soudainement pour pourvoir un poste dans un établissement. Une fois que la travailleuse est formée et habituée à son nouvel environnement, un concurrent essaie de la marauder en lui offrant trois ou quatre dollars de plus l’heure, pour ensuite continuer de la faire travailler dans le même établissement, mais à coût plus élevé.

« Comment l’hôpital peut-il accepter de payer plus cher pour la même ressource ? », demande la présidente.

Alors que le manque de personnel est criant dans le réseau, Mme Gravel dit perdre des ressources des deux côtés à la fois : elles s’en vont travailler soit directement dans le système public, soit chez des concurrents qui ont augmenté leurs prix.

« Dans les trois dernières semaines, 42 personnes sont parties. Là-dessus, 31 sont parties travailler directement dans le réseau ; les autres ont été embauchées par d’autres agences », dit-elle.

Indignation

L’association des Entreprises privées de personnel soignant du Québec (EPPSQ), regroupement de 10 entreprises du secteur, a fait connaître vendredi son « indignation » devant les pratiques rapportées par La Presse, qui « portent ombrage à toutes les entreprises de placement en santé qui ont à cœur de servir honnêtement le réseau de la santé durant cette période de souffrance sans précédent pour nos aînés ».

Le regroupement affirme que les cas signalés sont « anecdotiques » et ne représentent qu’une fraction de l’industrie, mais dit les condamner fermement.

Jean-François Désilets, président de l’association, affirme que le problème vient notamment des établissements qui signent des ententes de gré à gré avec des agences de placement plutôt que de se fier au processus d’appels d’offres ouverts.

« Certains établissements continuent de signer des contrats illégaux de gré à gré tout en admettant candidement tabletter les contrats d’appels d’offres qu’ils jugent trop complexes à appliquer », dit-il.