La crise de la COVID-19 fait exploser le nombre de morts dans la région montréalaise, et la demande dans les salons funéraires le confirme. Depuis un mois, leur clientèle a augmenté d’au moins 50 % par rapport à la même période l’année dernière. 

La Coopérative funéraire du Grand Montréal confirme une hausse de 46,5 % des décès pour la période du 22 mars au 22 avril, par rapport à la même période en 2019. « Cette augmentation importante est due à la COVID-19 », affirme Caroline Cloutier, directrice des communications à la Coopérative funéraire du Grand Montréal. 

Le groupe Athos, qui comprend les enseignes Urgel Bourgie et Lépine Cloutier, estime pour sa part que l’augmentation de la demande est « au minimum de 50 % » dans la région montréalaise. « C’est allé en crescendo et il y a un pic depuis la fin de la semaine dernière. », dit son vice-président au développement des affaires, Patrice Chavegros.

L’augmentation d’environ 50 % est aussi confirmée par la Corporation des thanatologues. 

En temps normal, les salons funéraires s’attendent à une hausse du nombre de morts de 1 à 2 % pour les mois de mars et d’avril par rapport à l’année précédente, essentiellement liée à la courbe démographique normale.

Les données de l’Institut de la statistique du Québec montrent que l’augmentation peut atteindre certaines années jusqu’à 7,5 % lors d’épidémies de grippe saisonnière ou de vagues de décès liées à d’autres infections. 

Une hausse aussi marquée est totalement inhabituelle. « C’est lié au contexte [de crise] qu’on vit. Il n’y a pas que les décès directement attribués à la COVID-19. On sait qu’il y a des causes connexes, comme des maladies qui empirent et des gens qui ne vont pas à l’hôpital. Le système est peut-être un peu saturé en ce moment, comme on le voit partout sur la planète », constate M. Chavegros. Mais dans l’ensemble, la hausse du nombre de morts constatée par les salons funéraires correspond en gros au nombre de cas de COVID-19 rapportés. Elle est aussi limitée à la région montréalaise. « À Québec, c’est pas mal plus calme qu’à Montréal. C’est très proportionnel aux cas de COVID-19 rapportés pour chaque région », précise M. Chavegros. 

Ni Athos ni la coopérative n’ont voulu révéler le nombre précis de décès associés à ces hausses.

Forcés de s’adapter

Chose certaine, la situation a forcé les salons funéraires montréalais à s’adapter rapidement. Nombre d’entre eux offrent depuis le début du confinement un service de cérémonies virtuelles. Dans certains cas, la mise en terre de la dépouille est filmée et retransmise par vidéoconférence. 

« Les règles sanitaires interdisent strictement toute forme de rituel funéraire ou de toilettage pour les dépouilles dont les certificats indiquent que la COVID-19 est suspectée dans les causes », explique la directrice de la Corporation des thanatologues du Québec, Annie Saint-Pierre.

La Coopérative funéraire du Grand Montréal a notamment mis sur pied depuis le 8 mars un service de soutien téléphonique gratuit pour les proches. « La situation fait vivre beaucoup de tristesse et de colère aux personnes endeuillées. Le plus dur pour elles est de vivre avec le sentiment de ne pas respecter les dernières volontés du défunt », constate l’intervenante Ginette Bergeron, qui fait entre 5 et 15 appels téléphoniques par jour pour conforter les clients en deuil. « C’est excessivement dur pour ces personnes de ne pas savoir si leur proche est mort dignement. » 

Beaucoup de personnes me disent aussi qu’elles ne sont pas capables de commencer leur deuil. Pour bien des gens, c’est un processus qui commence avec les funérailles.

Ginette Bergeron, de la Coopérative funéraire du Grand Montréal

Pour l’instant, aucun débordement n’est signalé dans les salons funéraires. « Il faut accélérer certaines opérations pour ne pas arriver avec une saturation d’entreposage, et aussi pour aider les CHSLD, indique M. Chavegros, mais dans l’ensemble, nous contrôlons la situation. » Beaucoup de familles choisissent la crémation plutôt que l’inhumation, « parce qu’elles préfèrent reporter les décisions entourant les cérémonies à la fin de la pandémie. Les gens sont très indécis, on le voit ». 

« Excès de mortalité »

Ces derniers jours, le New York Times et le magazine The Economist ont comparé le nombre total de décès enregistrés par différents pays au nombre de décès prévisibles, pour avoir une idée du nombre réel de morts liées à la pandémie. Cette différence, appelée « excès de mortalité » par les démographes, permet de contourner les sous-diagnostics liés au manque de tests.

Le New York Times soutient, sur cette base, que la France a sous-estimé de 6500 morts son nombre de décès liés à la COVID-19, et que la ville de New York a sous-évalué le sien de 4000. 

L’exercice s’avère pour le moment impossible au Québec, puisque les statistiques officielles de naissances et de décès de l’Institut de la statistique du Québec sont publiées avec trois mois de délai. Le nombre officiel de décès de février devrait en principe être connu au début du mois de mai. 

Une prime de risque et du matériel de protection réclamés

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Les salons funéraires reçoivent les corps de gens qui sont morts après avoir été déclarés positifs à la COVID-19, mais ils manipulent aussi ceux de gens dont on ignore s’ils étaient porteurs du virus.

La CSN réclame une prime de 3 $ l’heure et du matériel de protection pour les employés des salons funéraires, qui offrent un service « dont la société ne peut se passer » et craignent d’être infectés en manipulant les dépouilles de défunts qui étaient porteurs de la COVID-19.

« Il y a un gros stress relié à leur travail actuellement. Comme pour l’ensemble des travailleurs qui sont forcés d’aller travailler parce qu’ils offrent un service essentiel, il y a beaucoup d’enjeux de santé et sécurité », affirme David Bergeron-Cyr, président de la Fédération du commerce de la CSN, qui représente plus de 350 travailleurs dans l’industrie des services funéraires à travers le Québec.

« Menace silencieuse »

Les salons funéraires reçoivent les corps de gens qui sont morts après avoir été déclarés positifs à la COVID-19, mais ils manipulent aussi ceux de gens dont on ignore s’ils étaient porteurs du virus. Les représentants syndicaux parlent d’une « menace silencieuse ».

Certains corps arrivent et sont identifiés en lien avec la COVID-19, mais la crainte des travailleurs, c’est qu’il y en ait beaucoup qui ne le sont pas.

David Bergeron-Cyr, président de la Fédération du commerce de la CSN

Le salaire moyen dans les salons funéraires tourne autour de 20 $ l’heure, mais la centrale syndicale croit qu’en cette période de pandémie, les travailleurs devraient obtenir une prime de risque de 3 $ l’heure. Elle réclame aussi un accès à des masques de protection N95 et veut que des visières soient mises à la disposition du personnel dans les salons.

« On pense que ce serait un minimum pour reconnaître le risque qu’ils prennent. Si des employeurs ont besoin d’aide financière dans ce contexte, le gouvernement pourrait les aider », affirme le président de la fédération.

« Il y a des emplois dans notre société qui malheureusement ne sont pas souvent valorisés et reconnus à leur juste valeur. Et parfois, ça prend de tristes situations comme celle qu’on a en ce moment, pour les mettre en lumière, pour que la société et les employeurs s’intéressent un peu plus à eux », dit-il.

Une version précédente de cet article indiquait erronément que les responsables de salons funéraires peuvent demander des tests post-mortem pour confirmer le diagnostic de COVID-19. Ces tests demeurent la prérogative de la direction de la santé publique. Les salons funéraires peuvent cependant prendre en charge depuis le début avril des dépouilles de personnes décédées de la COVID-19 sans avoir à attendre l’autorisation de la santé publique.