Les autorités ont réussi un tour de force en obligeant les Québécois à rester à la maison. La campagne de sensibilisation des débuts, avec la conférence de François Legault en milieu de journée, gagnerait de grands prix de communication.

Seulement voilà, cette grande efficacité, cette propagation de la peur, rendra le déconfinement fort laborieux. Pour revenir à la normale, le gouvernement a désormais la délicate tâche de déprogrammer les Québécois.

Le gouvernement a fermé les bars, les restaurants et les entreprises. Il a interdit les regroupements, exigeant que les policiers s’en mêlent et qu’ils distribuent des amendes très élevées. Il a fermé des régions entières.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

L’Association des pédiatres du Québec s’est sentie obligée de prendre une position très claire : le déconfinement des enfants « n’est pas seulement souhaitable, il est nécessaire ».

La COVID-19 est épouvantable, a-t-il dit. Restez chez vous. Il faut sauver des vies.

La paranoïa collective en a poussé beaucoup à dénoncer leurs voisins, parfois pour des vétilles. Une petite famille qui rend visite aux grands-parents, à bonne distance ? On appelle la police.

Je vous ai fait peur, j’avais raison, a dit le gouvernement. Vous avez peur, tant mieux.

Ce message puissant, bien que nécessaire, a des conséquences aujourd’hui, tel un boomerang qui revient avec force.  

Pour déconfiner, le gouvernement doit non seulement lever les interdits, il doit aussi convaincre la population que le retour à une vie normale est essentiel. Que contracter le virus est… une bonne chose.

Après des semaines à parler des horreurs de la COVID-19, amplifiées par la couverture médiatique, le gouvernement doit déprogrammer et reprogrammer la population.

N’ayez plus si peur, dit-il maintenant, ou plutôt, ayez peur, mais selon les circonstances, selon l’âge. Tout un défi !

Qu’on me comprenne bien : le trio Arruda-Legault-McCann avait raison d’être insistant. Il avait raison d’intimer à la population de se confiner, afin d’aplatir la foutue courbe et de permettre au système de santé d’absorber le volume de patients. Et oui, nous avons sauvé des vies.

Sauf qu’aujourd’hui, des parents disent qu’on veut sacrifier leurs enfants en les renvoyant à l’école. Des travailleurs préfèrent rester cloîtrés plutôt que de se rendre au boulot. Des gens en région craignent les éventuels visiteurs de Montréal.

Dans les prochains jours, attendez-vous à ce que François Legault martèle le même message. Les jeunes sont très peu à risque. Les complications chez les enfants sont extrêmement rares. Les cas graves, ce sont les plus vieux. Au total, 97 % des décès touchent les 60 ans et plus, la plupart dans les centres pour aînés.

Le premier ministre répétera que les Québécois doivent, en fin de compte, attraper le damné virus, petit à petit. Que de 60 à 80 % d’entre nous, en excluant les personnes âgées, doivent contracter la COVID-19 afin d’atteindre une forme d’immunité collective (moins de 5 % aujourd’hui). Que le vaccin salutaire ne sera pas disponible avant une période allant de 18 mois à 2 ans.

« Si on fait un sondage, je ne pense pas que les Québécois vont dire qu’ils veulent rester confinés pendant deux ans », a dit M. Legault lors de la conférence de jeudi.

Une bombe à retardement

Face à la panique, l’Association des pédiatres du Québec (APQ) s’est d’ailleurs sentie obligée de prendre une position très claire : le déconfinement des enfants « n’est pas seulement souhaitable, il est nécessaire ».

Les quatre médecins signataires de la position de l’APQ sont tous pédiatres, des quatre coins du Québec. L’un d’eux, Marc Lebel, est un expert des maladies infectieuses, justement, et il travaille au centre hospitalier universitaire de Sainte-Justine, le fameux hôpital pour enfants de Montréal. Difficile de demander mieux.

Dans leur prise de position, ils rappellent que la COVID-19 n’est pas dangereuse pour la très vaste majorité des enfants. Au Québec, puis-je ajouter, aucune personne de moins de 30 ans n’a succombé à la COVID-19, selon les chiffres officiels.

Les enfants sont confinés, essentiellement, pour protéger leurs grands-parents. Les dommages collatéraux d’un confinement prolongé sont déjà trop nombreux et inquiétants.

Extrait de la lettre des pédiatres parue jeudi

Des exemples ? Au Québec, plus de 240 000 enfants mal nourris bénéficient chaque jour des petits déjeuners offerts dans les écoles. Que mangent-ils le matin aujourd’hui ? Et à la DPJ, les signalements ont chuté radicalement ces dernières semaines, ce qui est fort inquiétant.

« Privés de contacts avec l’extérieur, bon nombre d’enfants vivent sur une bombe à retardement. La réclusion imposée ne peut que multiplier les risques de violence domestique », écrivent les pédiatres.

Afin de rassurer des parents craintifs, le gouvernement avertit que le retour à l’école sera graduel et non obligatoire. Et il parle de mettre en place des mesures de distanciation (ce qui est un vœu pieux, selon moi, quand on sait à quel point les enfants sont agités).

Les enfants ne sont pas les seuls à subir les conséquences du confinement, faut-il rappeler. L’isolement entraîne des problèmes de santé mentale chez bien des adultes et de l’abus de substances. Et la crise retarde les traitements de patients qui sont atteints d’autres maladies que la COVID-19.

Le message de déconfinement du gouvernement Legault sera laborieux, donc, d’autant plus qu’en parallèle, les morts s’accumulent dans les centres pour aînés, une situation qui durera encore quelque temps.

Il faudra du courage, beaucoup de patience, de la discipline. Et il faudra se reprogrammer.