Lundi, j’ai chroniqué sur le climat de délation ambiant, sur les voisins qui se dénoncent pour des riens. Je disais qu’il y a ces jours-ci beaucoup de mesquinerie qui se drape dans la prévention sanitaire…

> Lisez la chronique « Le fond de l'air »

Je le précise : il y a parfois lieu d’appeler la police.

Party dans la cour du voisin, une dizaine de personnes qui pigent dans les mêmes sacs de chips, qui se font l’accolade ? On se comprend…

Mais grand-maman et grand-papa viennent à la fenêtre du bungalow de tes voisins pour dire allô au petit-fils et…

Et t’appelles la police ?

Minable.

Il y a ces jours-ci des hordes d’espions autoproclamés derrière les rideaux de leur maison qui se donnent le plaisir solitaire et anonyme de faire suer le voisinage en appelant la police pour des riens.

Après ma chronique, j’ai été inondé de témoignages où on me racontait les effets de tous ces petits power trips anonymes.

PHOTO FOURNIE PAR DAVID BOIES

Afin de clouer le bec aux espions du voisinage, la famille Boies a décidé de photographier ses visiteurs et leurs « rencontres » à plus de deux mètres.

David Boies, de Drummondville, a par exemple reçu la visite de la police trois fois en deux semaines. Aucun ticket, la maisonnée respecte la règle des deux mètres à la lettre. Mais une voisine « stoole » le voisinage au grand complet. Je cite M. Boies : « Nous avons entrepris de prendre des photos de “visiteurs” pour bien documenter nos “rencontres” à plus de deux mètres… »

Sur la Rive-Sud, Isabelle Faubert fait du vélo pour garder la forme et garder sa santé mentale. Mais voilà, sur la piste cyclable, elle ressent soudainement l’appel du pied de sa vessie. Maudite affaire, pas une toilette en vue…

Mais soudain, elle aperçoit une toilette chimique, du genre qu’on retrouve sur les chantiers de construction ou dans les festivals. Pas très invitant, mais quand faut y aller, faut y aller !

En sortant, Isabelle est attendue de pied ferme par une Tonton Macoute de Saint-Hubert qui entreprend de faire sa rééducation sanitaire. « Elle m’a demandé ce que je faisais du coronavirus, en postillonnant dans sa colère. Elle m’a dit que peut-être que celui qui était passé là avant moi avait craché partout dans la toilette… »

La boss des bécosses a alors averti Isabelle qu’elle l’avait prise en photo : « Je vais porter plainte à la police… »

Isabelle n’a pas reçu de ticket. Pas encore ?

Suggestion de lecture pour les espions auxiliaires autoproclamés du quartier : Le journal d’Anne Frank. Suggestion de film pour ceux-là : La vie des autres.

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C’est un corollaire de cette sale époque : tout le monde est sur les dents, tout le monde a la mèche courte, nous sommes à peu près tous à cran.

Par exemple, êtes-vous allés à l’épicerie récemment ?

À l’épicerie, tu sens que, chaque seconde, certains mesurent mentalement le nombre précis de centimètres qui les séparent des autres clients. Ceux-là, on les reconnaît parfois à cette laitue iceberg qu’ils tiennent, prête à être lancée à tout instant sur les intrus…

Autour de moi, je ne compte plus les gens qui voient maintenant de banales visites à l’épicerie comme un chemin de croix, à cause du climat de suspicion qui flotte partout, des congélateurs de surgelés aux tablettes de légumes en conserve, tout le monde se regarde en chiens de faïence, tout le monde se « checke »…

Peut-être que les pandémies font ça aux humains, peut-être que ça les rend fous, à défaut de les rendre malades, peut-être que les pandémies réveillent des parts d’ombre vieilles comme l’humanité elle-même.

Lu dans le New Yorker, en fin de semaine, un papier qui expliquait comment les pandémies avaient changé le monde depuis la peste de 541, dans ce qui est l’Égypte aujourd’hui : « Les épidémies sont, par essence, clivantes. Le voisin vers lequel vous pourriez vous tourner pour de l’aide en temps normaux pourrait bien devenir une source d’infection… »

Oui, le coronavirus est l’ennemi.

Et le voisin aussi, un peu…

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Peut-être faut-il prendre notre gaz égal. J’ai parlé à Amir Khadir, récemment. Je vérifiais l’état des connaissances sur la contagiosité réelle du coronavirus parce qu’une vieille dame hospitalisée ne recevait pas les lettres de ses enfants, le personnel prétextant que les lettres – j’ai entendu la même chose à propos de journaux – pouvaient faire entrer le coronavirus dans la place…

Analyse du DKhadir, microbiologiste-infectiologue : c’est vrai… en théorie.

En pratique, sur du carton, sur du papier, m’expliquait Amir Khadir, la partie humide du virus est absorbée en quelques heures, ce qui rend le virus inopérant. Donc, si on laisse les lettres et les journaux 24 heures dans un tiroir, le virus disparaît.

C’est surtout en partageant ces satanées gouttelettes qu’on s’infecte les uns les autres. En pigeant dans le même sac de chips. En se parlant de près, ce qui dégage des milliers de postillons invisibles, mais inévitables vecteurs de virus…

Alors si vous croisez un autre client de votre épicerie pendant une nanoseconde, si vous vous « frôlez » à un mètre devant l’étagère des petits pois, si la règle des deux mètres est piétinée pendant cette nanoseconde, respirez par le nez. Ce qui risque de vous contaminer, ce n’est pas ce « frôlement », c’est plutôt de commencer à vous engueuler avec l’intrus, engueulade qui projettera des postillons partout…

Bref, des fois, la meilleure chose à faire, c’est de se taire(1).

Le PM

Fascinante démonstration de contrition de François Legault, hier.

Ce mea culpa sur les conditions de travail des préposés aux bénéficiaires, ce moment de vulnérabilité où il a fait cette confidence : il a perdu le sommeil à se demander ce qu’il aurait pu faire différemment, pour les CHSLD…

C’est sûr qu’il y a une part de calcul dans ce mea culpa de François Legault : il survient au moment où le gouvernement se fait le plus brasser depuis le début de la crise…

Mais quand même, ce mélange de bonhomie, de réflexion à voix haute, de candeur : ça ne s’apprend pas, ça ne s’enseigne pas.

(1) Oui, oui, je sais, ça vaut pour moi aussi.