Pour prêter main-forte dans les CHSLD, Québec fait appel à des médecins spécialistes surqualifiés, à des travailleurs du milieu de l’éducation qui n’ont aucune formation et même à l’armée.

Il aurait été si simple de commencer par demander à… des infirmières. Ou plus précisément à des quasi-infirmières. Alors qu’on manque cruellement de bras, le Québec compte presque un millier de candidats à l’exercice de la profession infirmière (CEPI) qui ne sont pas utilisés à leur plein potentiel.

« Nous sommes une main-d’œuvre disponible et prête à travailler, mais nous nous sentons oubliés par le gouvernement, lequel fait appel aux médecins pour faire notre travail », m’a confié une de ces candidates qui préfère rester anonyme pour ne pas nuire à son emploi.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Dans le contexte actuel, les infirmières ont droit à une prime de 4 %, ce qui leur procure un supplément d’environ 1 à 1,50 $ l’heure, selon l’échelon.

La jeune femme, appelons-la Justine, a terminé son DEC en décembre dernier. Elle a passé tous ses examens. Elle a décroché son diplôme. Mais pour obtenir officiellement son titre, elle doit réussir l’examen de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ), qui devait avoir lieu à la fin de mars.

Il s’agit d’un examen à choix multiples de 150 questions qui dure une journée entière. Depuis cinq ans, le taux de réussite est de 80 % pour les candidats qui se présentent à un premier essai, selon l’OIIQ.

Mais à cause de la COVID-19, l’examen a d’abord été reporté à la fin d’avril, puis à la fin de septembre. Cela fait en sorte que 990 CEPI devront patienter six mois de plus pour obtenir leur titre. Dans bien des cas, ces candidats travaillent déjà dans le réseau de la santé, sauf qu’ils ne peuvent pas effectuer l’ensemble des tâches.

Par exemple, les règles empêchent les CEPI de donner un médicament aussi banal que du Tylenol ou un traitement contre la constipation à un patient qui répond à certains critères.

Les CEPI ne peuvent pas non plus prendre en charge un patient qui présente des complications. Récemment, Justine n’a pas été en mesure de donner de la nitro à un homme qui avait une douleur à la poitrine, comme une infirmière peut le faire dans certaines circonstances. « Il a fallu que je mobilise une autre infirmière qui avait déjà à sa charge d’autres patients », raconte-t-elle.

Comme l’hôpital où elle travaille est particulièrement tranquille depuis que le gouvernement a libéré des lits pour faire face au coronavirus, Justine a tenté d’aller travailler en CHSLD. « Je vis seule. Je ne risque pas de contaminer ma famille. Et je n’ai pas d’antécédents médicaux qui m’inquiètent pour la COVID-19 », dit-elle.

Or, toutes les agences de placement qu’elle a contactées lui ont répondu qu’elle ne pouvait être engagée puisqu’elle ne possédait pas encore son titre d’infirmière. Il faut dire que dans les petits milieux, il est plus difficile d’intégrer un CEPI, qui doit toujours travailler avec une infirmière en titre.

Il me semble qu’en pleine crise sanitaire, ce n’est pas le temps de lever le nez sur une main-d’œuvre rare et qualifiée.

D’autres professions ont déjà pris des mesures extraordinaires. Dès le 24 mars, le Collège des médecins du Québec a annoncé que les résidents qui ont terminé leur formation pourraient d’exercer à titre de médecin, avec un permis restrictif, en attendant de passer leurs examens qui ont été reportés à cause de la pandémie.

Pourquoi pas les infirmières ?

Mercredi, la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a signé un arrêté ministériel qui permettra aux finissants en soins infirmiers et dans les autres domaines de la santé de pousser à la roue dans le réseau de la santé.

Tant mieux ! C’est un pas dans la bonne direction.

« Mais cet arrêté vise les étudiants qui sont à la dernière session de leur programme de trois ans », explique Jérôme Rousseau, vice-président de la FIQ (Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec), qui représente 76 000 travailleurs du domaine de la santé.

L’arrêté ne modifie en rien le règlement régissant les activités des CEPI, qui reste intégralement en vigueur, insiste M. Rousseau.

Pourquoi ne pas donner un autre tour de roue ? Pourquoi ne pas fournir un titre temporaire aux CEPI ? Ou alors, pourquoi ne pas leur faire passer rapidement l’examen de manière électronique ?

L’aide des CEPI dans les CHSLD serait certainement la bienvenue. Et surtout, elle coûterait une fraction du prix des médecins qui recevront jusqu’à 2500 $ pour une journée de 12 heures maximum, soit un taux horaire de 211 $, quoique Québec affirme maintenant qu'il négociera une nouvelle entente pour les médecins en CHSLD.

Heureusement, sinon ils gagneront cinq à dix fois plus que les infirmières, qui ont un taux horaire de 24 $ à 39 $ selon leur échelon. Et la maigre prime que Québec leur accorde dans le contexte de la pandémie est tout à fait dérisoire par rapport à l’argent versé aux médecins.

Dans le contexte actuel, les infirmières ont droit à une prime de 4 %, ce qui leur procure un supplément d’environ 1 à 1,50 $ l’heure, selon l’échelon. Celles qui traitent des patients atteints de la COVID-19 touchent une prime de 8 %, soit un supplément d’environ 2 à 3 $.

Mais pour Justine qui gagne 22 $ l’heure comme CEPI, la prime équivaut à seulement 88 cents l’heure. À ce compte, un emballeur à l’épicerie a droit à un plus gros extra.