Depuis près d’un mois, des parents d’enfants placés en familles d’accueil, en foyers de groupe ou en centres de réadaptation de la DPJ ne peuvent plus voir leurs petits en personne. Certains d’entre eux contestent l’interprétation de l’arrêt ministériel coupant les contacts physiques en raison de la COVID-19 et une injonction a été déposée. D’autres pourraient suivre.

Pour Nicole*, les problèmes ont commencé à l’adolescence de son fils. Rebelle, il s’est mis à fumer du cannabis. « Chez moi, c’est interdit de fumer, que ce soit la cigarette ou le cannabis », dit la femme de profession libérale, qui admet être plus sévère que beaucoup de parents.

À 16 ans, après une dispute, il a fugué. « Épuisée », dit-elle, elle a elle-même appelé la Direction de la protection de la jeunesse pour placer son fils en centre pendant 10 jours, comme « conséquence ». Au bout de cette période, il a demandé à rester en foyer de groupe, tout en revenant chez sa mère des fins de semaine. C’était il y a huit mois.

Aujourd’hui, elle se bat pour faire sortir son fils du foyer où il réside avec huit autres jeunes. Elle craint qu’il ne contracte la COVID-19.

Il y a de six à huit intervenants qui entrent et qui sortent chaque jour, ce n’est qu’une question de temps.

Nicole, mère d’un adolescent placé dans un foyer de groupe il y a huit mois

Même si son fils est jeune, Nicole craint que ses années à fumer et à vapoter aient pu affecter ses poumons. À l’aise financièrement, la femme assure qu’il pourra être isolé pour une quarantaine à son retour, pour protéger les autres membres de la famille.

Or, comme plusieurs parents, elle dit se buter à une fin de non-recevoir du côté des services sociaux en raison de l’arrêté ministériel du 19 mars, qui suspend les contacts en présence physique des parents « dans la mesure où le directeur de la protection de la jeunesse considère, suivant les recommandations de santé publique, que ces conclusions [qui permettaient le contact physique] ne peuvent être respectées d’une façon qui protège la santé de la population dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 ».

Pour les responsables de la protection de la jeunesse à Montréal, cette directive a sonné la fin des visites ou des retours ponctuels dans la famille, peu importe la situation.

« La Santé publique dit qu’il faut rester dans son milieu de vie et ne pas sortir, explique Jocelyne Boudreault, relationniste pour le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Pour les jeunes en centres de réadaptation, en foyers de groupe, en familles d’accueil, c’est ça, leur milieu de vie, il faut qu’ils y demeurent. »

Injonction

Nicole n’est pas la seule à demander une évaluation au cas par cas. Au moins une injonction interlocutoire conteste l’application de l’arrêté ministériel. La DPJ « ne semble pas avoir reconnu le large pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé par cette directive, en décidant plutôt de suspendre tout contact prévu, et ce, pour tout dossier confondu », peut-on lire dans l’injonction.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux a refusé de répondre aux questions de La Presse concernant un éventuel assouplissement des règles ou un changement de directive, puisque « ce dossier fait l’objet de discussions devant les tribunaux ». Même réponse du côté du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, responsable du dossier.

Me Valérie Assouline s’est de son côté adressée directement à M. Carmant et à la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, dans une lettre.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Me Valérie Assouline, avocate

« Nous nous retrouvons aujourd’hui face à une suspension totale, dans la majorité des dossiers, des accès entre les enfants de la DPJ et leurs parents, et ce, sans distinction aucune et sans égard à la situation particulière de chaque enfant et de chaque famille », écrit-elle, ajoutant que « la seule question qui devrait être pertinente dans les circonstances, afin de permettre des contacts entre les enfants et leurs parents, est de savoir si le milieu parental représente un danger pour la santé et la sécurité de l’enfant et de la population ».

Me Assouline ne défend pas le retour des enfants chez des parents toxicomanes ou violents, précise-t-elle. Elle parle ici d’enfants placés sous la protection des services sociaux après une séparation houleuse, un cas d’« aliénation parentale » – qu’elle prend bien soin de mettre entre guillemets en entrevue –, d’enfants dont le retour était déjà prévu ou qui passaient déjà du temps avec leur famille. Certains parents, dépassés, ont eux-mêmes demandé le placement de leur enfant pour l’aider dans un moment difficile, mais voudraient le récupérer, au moins le temps des mesures de confinement, note-t-elle.

Mme Boudreault dit comprendre le bouleversement des parents comme des enfants, mais les responsables ne peuvent prendre la décision de retourner les jeunes dans leurs familles, dit-elle.

On est tenus de respecter l’ordonnance de la cour. Il ne peut pas y avoir de retour à la maison à moins qu’un juge ne l’ordonne.

Jocelyne Boudreault, relationniste pour le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Elle assure que des moyens technologiques sont déployés pour permettre la communication entre enfants et parents. Et que les moyens de protection sont pris par les intervenants contre la COVID-19.

Les tribunaux tournant au ralenti en raison de la pandémie, « il y a beaucoup de procédures remises », déplore de son côté Me Assouline.

Une nouvelle injonction, au nom de plusieurs parents, est en préparation et pourrait être déposée la semaine prochaine pour dénoncer l’interprétation de l’arrêté.

* Pour préserver son anonymat et celle de son fils, cette personne a accepté de témoigner à condition que nous changions son nom.