Évoquée par le premier ministre la semaine dernière, la perspective d’un retour en classe dès le 4 mai a suscité son lot de réactions dans le milieu de l’éducation. Les enjeux logistiques sont multiples, et de nombreux membres du personnel s’inquiètent tant pour leur santé que pour celle des enfants.

Faire l’école à temps partiel, rendre la fréquentation scolaire facultative, rouvrir les écoles dans certaines régions pour commencer : les scénarios évoqués par le gouvernement pour une éventuelle reprise des classes d’ici quelques semaines créent une dissension dans le milieu scolaire et chez les parents.

Lundi, un mois jour pour jour après l’arrêt des classes, Télé-Québec a lancé une série d’émissions éducatives et une plateforme en ligne pour les élèves de la province. Une façon de plus de pallier l’absence de classes, qui ne répond toutefois pas à la question qui se pose dans bien des chaumières : quand pourra-t-on reprendre l’école « en vrai » ?

Vendredi dernier, le premier ministre a donné un aperçu de ce qui est envisagé en haut lieu, en soutenant que le scénario de rouvrir les écoles le 4 mai, et même avant, était « plus que sérieux ».

Le lendemain, face au tollé soulevé, François Legault a précisé sa pensée. Québec, a-t-il dit, regarde « différents scénarios avec différentes dates, avant, pendant, après le 4 mai ».

« Il va y avoir un seul critère, c’est la santé », a déclaré le premier ministre.

Débat

Secrétaire dans une école primaire, Lynn Olivier s’est inquiétée quand elle a entendu le premier ministre évoquer un retour en classe rapide. Elle est dans la soixantaine, mais sa santé est fragile. 

« Je ne peux pas voir mes petits-enfants et je me retrouverais avec 386 enfants ? Dès qu’ils ont mal, qu’ils veulent un câlin, c’est moi qu’ils viennent voir », illustre-t-elle. Tant que le gouvernement parle encore de distanciation sociale, elle se dit « inquiète pour tout le monde », dont les enfants.

Qui voudra retourner à l’école en mai, avec le spectre de la COVID-19 toujours présent ? L’enseignante en adaptation scolaire Mélanie Massicotte lève la main. Elle a publié un long texte sur Facebook pour répondre à ceux qui, pétition à l’appui, estiment que « l’ouverture des écoles et des garderies en mai est irréaliste et dangereuse pour les enfants, les familles et leurs intervenants ».

Elle a lancé sa propre pétition pour demander au gouvernement un retour à l’école avant la fin de l’année scolaire.

On est une tonne de gens en santé, on est confinés depuis longtemps à la maison tandis qu’une autre partie de la population travaille dans les hôpitaux, par exemple. Eux aussi ont des enfants. On ne peut pas continuer comme ça, ne pas avoir de camps de jour cet été et se dire que tout va bien aller en septembre.

Mélanie Massicotte, enseignante en adaptation scolaire

Le débat est bel et bien lancé. L’enseignante a été l’objet d’attaques personnelles et de répliques acerbes sur Facebook, certains allant même jusqu’à lui souhaiter « d’avoir la peur de perdre quelqu’un à cause du virus ».

Mélanie Massicotte ne se laisse toutefois pas ébranler. « J’assume, dit-elle. On m’a dit : “Tu veux décider que les écoles vont ouvrir”. Ce n’est pas moi qui vais décider. Je pense que, le 4 mai, il y a des chances qu’on nous ramène à l’école. Si ce n’est pas le cas, je vais rester chez moi. » 

« Je suis à 100 % avec la Santé publique », insiste-t-elle.

Les syndicats mitigés

La présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal dit aussi qu’elle suivra les recommandations de la Santé publique. « Ce qui nous inquiète, c’est que beaucoup de parents disent : “Je n’enverrai pas mes enfants dans une école”. Si on y retourne le 4 mai, est-ce qu’on va se retrouver avec des classes à moitié vides ? Dans certains milieux multiethniques, il y a beaucoup d’enfants qui habitent avec leurs grands-parents. Est-ce qu’on va envoyer à l’école les enfants qui vont revenir à la maison côtoyer leurs grands-parents ? », demande Catherine Beauvais St-Pierre.

Les profs, dit-elle, ne veulent pas « aller faire du gardiennage ».

Quel empressement avait le premier ministre à déclarer en plein point de presse qu’il pourrait bientôt rouvrir les écoles ? se demande quant à lui Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui représente 43 000 membres.

Le gouvernement doit faire preuve de pédagogie. Il faut faire les choses calmement, ne pas se précipiter.

Sylvain Mallette, président de la FAE 

Il y a une « pression colossale exercée par le réseau des écoles privées. C’est une question de financement pour elles quand des parents menacent de ne pas payer », soutient M. Mallette.

À la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP), on réfute de telles allégations. « On ne s’est pas du tout mêlés de cette décision-là, on va y aller avec ce qui est mieux pour la santé et la sécurité, et ce qui sera décidé au niveau du gouvernement », affirme son président David Bowles. Environ une école sur deux a fait des mises à pied temporaires depuis que les classes ont été suspendues, dit-il.

Les écoles privées ont envisagé différents scénarios de retour à l’école « comme n’importe qui d’autre dans le secteur » : un retour complet, graduel, en demi-groupes, les élèves en difficulté d’abord. Reprendre l’école en demi-groupes, « ça se fait », estime M. Bowles. « Il y aurait un gros défi de logistique, mais ce n’est pas impossible à organiser. » Il estime que le réseau pourrait bénéficier de deux semaines pour se préparer.

La FAE dit de son côté qu’elle ne fera pas obstacle à une réouverture des écoles, « à partir du moment que les questions légitimes qui se posent trouvent réponse ».

« Si l’école rouvre sans que les parents aient été rassurés, ils vont garder leur enfant à la maison », dit son président, Sylvain Mallette. 

« Ce n’est pas juste d’ouvrir des écoles. Ça va prendre des services et des ressources », ajoute-t-il.