Ce sont nos « anges », ne cesse de répéter le premier ministre Legault. Chaque jour, ils sont au front dans la guerre à la COVID-19. Pour décrire leur quotidien, La Presse vous présentera de façon régulière le témoignage d’un membre de l’équipe soignante de « l’hôpital dans l’hôpital », section bâtie pour les patients infectés par le coronavirus à l’hôpital Notre-Dame. Voyage sur la ligne de feu de la pandémie.

Quand on travaille dans la « zone COVID », il y a le stress du travail à accomplir, celui d’être infecté. Il y a la chaleur de l’uniforme, l’absence de pauses. Mais il y a aussi l’immense solitude vécue par les malades. « Les patients, ils vivent une solitude incroyable », dit Maria Gabriela Carrasco-Arcos, infirmière clinicienne dans l’unité COVID-19 de l’hôpital Notre-Dame depuis son ouverture, qui précise ne parler qu’en son nom.

« Ils sont tout seuls. Complètement isolés. Et ils nous voient arriver avec nos habits de cosmonautes. Ça doit être super insécurisant. Honnêtement, ça déchire. Et comme on est débordés, on n’a pas le temps de s’asseoir avec eux, de les rassurer. Tout ce qu’on a le temps de faire, parfois, c’est une petite blague », raconte la jeune femme de 32 ans, infirmière depuis cinq ans.

En mars, on lui a demandé si elle serait volontaire pour travailler dans la zone COVID. La décision n’a pas été facile à prendre. « J’ai eu une conversation avec mon amoureux. C’est une décision qui se prend à deux. Parce que ça se peut que je sois infectée et que je l’infecte aussi en travaillant à l’hôpital. »

Elle a accepté l’offre. Chez eux, le jeune couple a établi un certain nombre de précautions. « On a bâti une sorte de sas dans notre entrée. On ne rentre absolument rien de l’extérieur dans notre maison. On a une glacière, dans laquelle on met tout ce qui se trouve dans nos poches, il y a une bouteille de désinfectant, on se lave les mains, on se déshabille complètement, on laisse nos souliers là. »

Et c’est difficile, travailler face à face avec la COVID-19 ? « Oui », répond-elle franchement.

C’est complètement différent de ce qu’on connaît. Déjà, à la base, nos conditions de travail ne sont pas au top, mais là, c’est du jamais vu.

Maria Gabriela Carrasco-Arcos, infirmière clinicienne

« Les pompes à pression négative produisent beaucoup de chaleur, poursuit-elle. En plus, il y a notre équipement qui est chaud. C’est difficile physiquement. Et une fois habillés, on doit attendre jusqu’à la pause parce qu’on ne veut pas gaspiller de matériel de protection. »

Vendredi, elle a donc commencé sa journée à 7 h 45. Puis, aucune pause – pas un verre d’eau, rien à grignoter, pas un tour au petit coin – jusqu’à 14 h. « Actuellement, au moment où je vous parle, j’ai une sacrée migraine ! », dit-elle. La même journée, on lui a demandé de faire un quart double : elle a décliné l’offre. « Physiquement, c’est trop dur. C’est impossible, dit-elle. J’essaie de me préserver pour “tougher” tout le temps qu’il faudra. »

Vendredi, la « zone COVID » bâtie à Notre-Dame accueillait une quinzaine de patients. Le défi ? Les soigner avec tout cet attirail sur le dos, mais aussi ne rater aucun des signes de détérioration de l’état du patient. Car ça peut dégénérer. Et rapidement.

« Il y a quelques patients jeunes ; eux, ça va. Ils sont assez stables en général. Ce sont les gens âgés qui peuvent devenir très instables. Et c’est nouveau pour nous, cette instabilité. Ce qu’on craint toujours, c’est le syndrome de détresse respiratoire aiguë. Pour une personne âgée qui est déjà un peu mal en point, ça peut s’installer rapidement. Nos surveillances doivent être étroites. »

L’équipe de la zone COVID a vu des patients s’éteindre. Quand elle évoque ces épisodes, Maria Gabriela retient ses larmes. « Ça choque et ça draine. Ce n’est pas du tout la même chose que lorsque les gens s’éteignent en fin de vie, entourés de leurs proches, avec une petite musique. Là, ils sont seuls, complètement seuls. »

Au cours de mars, Maria Gabriela a vu son niveau de stress grimper au maximum en regardant ces images des hôpitaux new-yorkais ou italiens débordant de patients.

« On voyait ça venir, et c’était une grosse source d’anxiété, raconte-t-elle. Ça ne correspond pas à notre réalité actuellement. Mais on garde toujours ça dans un coin de notre tête. On ne veut pas se rendre là. Et si les gens se mettent à ne plus respecter le confinement, c’est nous qui allons payer pour ça, dit-elle. S’ils ne le font pas pour eux, qu’ils le fassent pour nous. »