(Ottawa) Le danger d’une pandémie occupait le huitième et dernier rang d’une liste de menaces, mais le gouvernement libéral l’avait néanmoins inclus lors du dévoilement d’une politique de sécurité nationale en 2004.

La crise du SRAS était encore fraîche dans la mémoire collective et le gouvernement avait affirmé qu’il allait intégrer son approche d’urgence en matière de santé publique dans sa politique de sécurité nationale.

Cette promesse n’a toutefois jamais été remplie, laissant le Canada exposé à la crise de la COVID-19, croit l’expert en renseignement de sécurité Wesley Wark.

« Malgré l’idée que nous allions nous en occuper avec une politique de sécurité nationale, ça ne s’est jamais produit », soutient M. Wark, professeur invité à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.

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L’expert en renseignement de sécurité Wesley Wark

Le Canada s’est plutôt fié sur des renseignements de sources ouvertes, se basant sur les informations de pays déjà touchés par la pandémie, comme la Chine, ajoute-t-il.

« En ce qui concerne la COVID-19, nous n’avons pas bien réagi aux premiers signes et nous en subissons les conséquences. »

M. Wark croit qu’une analyse approfondie, en se basant notamment sur des images satellites d’alliés, aurait pu permettre la découverte des premiers signes de mouvements militaires, la construction soudaine d’installations médicales et une hausse des activités dans les salons funéraires — « le portrait d’une crise que les autorités chinoises ne voulaient pas dévoiler à ses débuts ».

Selon lui, le Canada aurait pu anticiper dès la mi-janvier que la COVID-19 représentait un risque et ainsi s’offrir une longueur d’avance dans sa préparation. Le gouvernement aurait pu imposer une interdiction des voyages, particulièrement pendant la relâche scolaire, remplir la réserve stratégique d’urgence et acheter de l’équipement de protection personnelle pour les travailleurs de la santé.

Questionnée au sujet des rapports selon lesquels le gouvernement chinois a caché une part de la vérité au sujet de la COVID-19, la vice-première ministre Chrystia Freeland a récemment affirmé que le Canada s’était fié à l’Organisation mondiale de la santé en ce qui concerne les informations sur le virus.

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La vice-première ministre Chrystia Freeland

« Par contre, le Canada est un membre très actif du Groupe des cinq et nous avons un partenariat rapproché et très important avec les États-Unis au sein du Groupe des cinq, de l’OTAN et du NORAD », a dit Mme Freeland lors d’une conférence de presse.

Il est fort possible que le Canada ait obtenu des informations de la part des États-Unis, croit Greg Fyffe, un ancien directeur du personnel d’évaluation internationale au Bureau du Conseil privé.

Les chances sont aussi bonnes que les évaluations des renseignements canadiens sur la COVID-19 soient établies sur de nombreuses sources. Cependant, ce type de rapport demeure habituellement confidentiel, a rappelé M. Fyffe.

Ce dernier se souvient avoir suivi de près la grippe aviaire H1N1 lors de son époque au Bureau du Conseil privé.

« Nous nous assurions que les informations disponibles étaient en circulation », a-t-il indiqué.

M. Wark reconnaît que les services de renseignement du Canada recueillaient des informations liées à la santé. Il n’y a toutefois « aucune preuve » que les membres importants de la communauté de la sécurité ont mis l’accent sur l’évaluation de la menace que représente une pandémie, dit-il.

Après le SRAS, on pensait que le Centre intégré d’évaluation des menaces, chapeauté par le Service canadien du renseignement de sécurité, allait suivre de plus près les dangers liés à une pandémie.

Cependant, cette unité a ensuite été transformée en Centre intégré d’évaluation du terrorisme.

« Cette évolution a été la même qu’ont connue toutes nos ressources de renseignement sécurité, a dit M. Wark. La COVID-19 va pourtant avoir un impact plus important sur la sécurité nationale que le terrorisme n’a jamais eu. »

M. Fyffe croit que l’impact global de la pandémie soulève des questions chez les dirigeants des agences canadiennes de renseignement.

« Qu’est-ce que cela signifie pour nos ressources ? Quelles sont les questions que nous devons poser ?, a-t-il dit. Il arrive parfois des évènements qui vous forcent à réévaluer vos priorités. »

Le terrorisme a parfois été perçu comme une cible peu intéressante pour la communauté du renseignement, a rappelé Mark Stout, un ancien analyste à l’Agence centrale de renseignement américain. Tout a changé à la suite des attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

Les analystes qui se penchent sur les pandémies pourraient à leur tour recevoir une augmentation de leurs ressources, a indiqué M. Stout lors d’un webinaire organisé par le Musée international de l’espionnage à Washington.

« Je m’attends à une réorientation similaire après la crise », a affirmé M. Stout, aujourd’hui directeur d’un programme d’études en sécurité globale à l’Université Johns Hopkins.

Lors des rencontres quotidiennes, les dirigeants du Canada ont laissé entendre que des leçons seront retenues de la crise liée à la COVID-19. Le premier ministre Justin Trudeau a affirmé vendredi dernier que le Canada avait mieux réagi que d’autres pays en raison de son expérience acquise lors de la crise du SRAS.

M. Wark croit que les leçons doivent être apprises et appliquées immédiatement.

« Les conseillers en matière de renseignement de sécurité devraient dès maintenant demander aux agences de changer leurs priorités. Ils doivent se dire : “nous sommes maintenant dans un monde où nous devons nous concentrer sur la pandémie. Et nous allons continuer à nous concentrer sur ce danger même après la crise”. »