Finis, pour un temps, les manœuvres de repositionnement, les observations sur le vélo d’exercice ou les tests d’équilibre avec l’équipement disposé sur le tapis de gazon synthétique de la clinique. COVID-19 oblige, les professionnels de la santé de la Clinique Cortex ont réussi à mettre en place, en quelques jours, des traitements par vidéoconférence pour soigner leurs patients atteints de commotions cérébrales.

« Est-ce que c’est plus difficile ? Oui, c’est certain ! », répond sans détour Philippe Fait, thérapeute du sport agréé et cofondateur de la Clinique Cortex.

La clinique de Québec, spécialisée dans le traitement des commotions cérébrales, avait une toute petite clientèle suivie en téléréadaptation – principalement des athlètes de haut niveau, souvent en déplacement, habitués à ce type de traitement médical. Élargir la pratique de consultation par vidéo à l’ensemble de la clientèle ne faisait pas partie des plans.

Mais les plans ont changé brusquement en raison du coronavirus. En quelques jours, les administrateurs ont transféré presque l’ensemble des services en mode virtuel. La grande question : comment des professionnels, dont l’essence du travail est de réparer le corps humain en le manipulant, réussissent-ils à y parvenir à distance ?

« Si je mettais un chiffre, je dirais que pour 25 % de nos interventions, on doit vraiment toucher le patient », révèle M. Fait. « Dans nos plans de traitement, les patients sont déjà très impliqués et ils ont beaucoup d’exercices à faire. Nous, on observe et on évalue. Honnêtement, on peut faire beaucoup en regardant le patient et en lui demandant de bouger son cou, ses yeux, sa tête, etc. », assure le thérapeute, qui avoue que les défis de logistique sont plus difficiles à surmonter.

S’adapter à la maison du patient

Les patients ne sont pas tous habiles avec la technologie, par exemple. Les rendez-vous sont parfois interrompus par les enfants des patients ou des cliniciens, entre autres. Et les physiothérapeutes, médecins, kinésiologues et autres professionnels de la clinique doivent adapter leurs interventions à l’environnement personnel de chacun des patients.

« On doit être très ingénieux pour trouver comment ils peuvent faire les exercices dans l’espace de leur appartement ou de leur maison, et avec ce qu’ils ont à portée de main », expose M. Fait.

Par exemple, quand le système vestibulaire est touché lors d’une commotion cérébrale, l’équilibre est atteint et des exercices sur une surface instable s’imposent. Le thérapeute suggère à ses patients d’utiliser un coussin et des oreillers, et de s’installer près d’un coin de mur où s’accoter au besoin. Un détail essentiel à la sécurité des interventions.

PHOTO FOURNIE PAR LA CLINIQUE CORTEX

Philippe Fait, thérapeute du sport agréé et cofondateur de la Clinique Cortex

On n’est pas à côté d’eux pour les surveiller, donc on a mis en place des protocoles de sécurité. Par exemple, si la personne est seule, on lui demande de laisser la porte débarrée. Comme ça, s’il arrive quelque chose, on peut appeler le 911.

Philippe Fait, de la Clinique Cortex

Le partage du dossier des patients est aussi un défi non négligeable. Confidentialité oblige, impossible de numériser un rapport pour l’envoyer à un collègue qui travaille avec le même patient en interdisciplinarité.

« Ça prend aussi plus de rencontres entre nous pour nous parler des dossiers des patients, résumer les cas, expose M. Fait. Mais cette crise-là nous a fait réaliser qu’on devrait migrer vers les dossiers électroniques, même si c’est extrêmement cher. »

Décision précipitée, mais réfléchie

Les services offerts à la clinique privée sont considérés comme essentiels, mais les recommandations des ordres des différents professionnels de la santé qui y travaillent suggéraient de limiter les consultations aux urgences.

De quatre points de services dans la ville de Québec, l’entreprise est passée à deux. L’une pour la gestion des consultations par vidéo, l’autre pour les urgences, de sorte qu’il n’y ait qu’une seule clinique à désinfecter.

« Même si on a le droit de voir des patients, on s’est demandé quel était notre ratio de cas vraiment urgents. On en a, mais pas tant que ça. Donc, on a décidé la semaine dernière de rediriger les cas très urgents dans le système public », explique M. Fait, joint par vidéo entre deux consultations.

À partir de là, l’ensemble des traitements offerts par la clinique s’est déplacé en mode virtuel. Les administrateurs de la clinique savent déjà que ce type de consultation sera un service supplémentaire qui restera en place après la crise.

D’autres cliniques se tournent vers Skype

Les ordres professionnels et le Collège des médecins suggèrent aux professionnels de la santé, depuis le début de la crise de la COVID-19, de privilégier la téléconsultation, les rendez-vous téléphoniques et les rencontres vidéo. Les cliniques privées sont invitées à fournir le même effort, afin de ne pas surcharger le système public. Beaucoup de professionnels tentent le coup. Des physiothérapeutes de la Clinique de réadaptation de Roussillon rencontrent aussi leurs patients par Skype. Josée-Anne Laporte est infirmière. Une entorse cervicale l’empêchait de travailler.

« Mon médecin m’avait prescrit un arrêt complet avec de la physiothérapie trois fois par semaine. Ça ne faisait même pas deux semaines que j’avais commencé la physio que tout “ça” est arrivé », raconte l’infirmière, qui est retournée travailler à temps partiel dans une clinique de dépistage de la COVID-19. 

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Josée-Anne Laporte, infirmière qui souffre d’une entorse cervicale, est suivie à Clinique de réadaptation de Roussillon par Skype.

Après une semaine, j’ai reçu un appel de la clinique me disant que mes rendez-vous auraient lieu dorénavant sur Skype.

Josée-Anne Laporte

Les rendez-vous sont basés sur l’observation et la correction des exercices qu’elle doit effectuer.

« C’est la meilleure solution dans la situation actuelle, estime Mme Laporte. Personnellement, je ne sais pas si c’est aussi efficace qu’en personne, mais ça me motive sur le plan des exercices. Je suis infirmière, j’ai une petite fille de 3 ans, mon conjoint travaille de nuit, alors j’avoue que trouver le temps pour mes exercices, c’est difficile. Mon rendez-vous me force à prendre une heure pour moi. »

Les professionnels de la Clinique Cortex ont d’ailleurs observé qu’ils endossaient, par la force des choses, un rôle de travailleurs sociaux ou de psychothérapeutes, par les temps qui courent.

« On s’ajuste, le rythme est plus lent. Beaucoup de gens passent une partie de la séance à ventiler. Mais dans l’ensemble, ça leur fait du bien d’être suivis et, au-delà du traitement, de parler à quelqu’un », témoigne Philippe Fait.