Les tests sérologiques servant à détecter la présence d’anticorps liés à la COVID-19 pourraient constituer un outil important pour lutter plus efficacement contre la pandémie.

Ils risquent aussi de favoriser, s’ils sont utilisés de manière irréfléchie, la création d’une société divisée dans laquelle une partie de la population, immunisée, peut circuler et travailler librement alors que l’autre demeure clouée à résidence.

Tant les bénéfices potentiels que les risques de discrimination liés à l’utilisation à grande échelle de ces tests sont « énormes », prévient en entrevue Vardif Ravitsky, professeure de bioéthique rattachée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

La mise en garde n’a rien de superflu, puisque certains pays ont déjà annoncé leur volonté de faire passer des tests sérologiques à une fraction importante de la population.

Ils devraient identifier dans le processus de nombreux individus qui ont développé des anticorps pour contrer le coronavirus sans présenter de symptômes perceptibles d’infection.

Le ministre de la Santé du Royaume-Uni, Matt Hancock, a notamment déclaré la semaine dernière que le gouvernement souhaitait délivrer des « certificats d’immunité » à ces personnes de manière à permettre au plus grand nombre possible de gens « de revenir, autant que possible, à une vie normale ».

PHOTO ISABEL INFANTES, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le ministre de la Santé du Royaume-Uni a déclaré la semaine dernière que le gouvernement souhaitait délivrer des « certificats d’immunité » aux personnes en santé ayant des anticorps à la COVID-19 de manière à permettre au plus grand nombre possible de gens « de revenir, autant que possible, à une vie normale ».

Il a dû subir les critiques d’experts en santé publique qui s’alarmaient de l’imprécision des tests sanguins disponibles et des risques de dérive inhérents à la délivrance de certificats. Certains ont fait valoir que des personnes pourraient être tentées de se faire infecter volontairement dans le but d’en bénéficier.

Des chercheurs allemands ont parallèlement annoncé leur intention de mener en avril des tests sérologiques à grande échelle — évoquant un échantillon de 100 000 personnes — pour voir quel pourcentage de la population a été contaminé.

Un des responsables, Gerard Krause, a indiqué à la Deutsche Welle (radio et télé publiques allemandes) que l’État pourrait permettre aux personnes immunisées d’être « exemptées » des mesures de distanciation sociale.

Aucun des huit tests de COVID-19 approuvés au Canada n’est sérologique, mais 29 des 49 tests actuellement testés par Santé Canada le sont, dont plusieurs tests portatifs, pour la plupart chinois.

Plusieurs pays européens ainsi que les États-Unis ont déjà approuvé des tests de laboratoire de cette nature.

Ils permettront notamment aux Pays-Bas de déterminer d’ici deux semaines la proportion de leur population qui a déjà été infectée.

« Nous avons commencé lundi à tester tous les dons de sang pendant une semaine », explique Hans Zaaijer, microbiologiste à la banque de sang néerlandaise Sanquin. « Ça devrait être représentatif de la population du pays. Ensuite, on va retester tous les dons dans un mois, pour voir la progression du virus. Ça nous permettra de savoir quand on atteindra le niveau d’immunité de groupe souhaité. »

Et le Québec ?

Héma-Québec dit qu’elle pourrait se charger, si le gouvernement provincial lui demandait, d’une opération similaire. « L’idée nous est venue, ça serait très utile pour les autorités de santé publique », dit Marc Germain, vice-président aux affaires médicales d’Héma-Québec. « Nous le faisons déjà pour une série d’agents infectieux, dont l’hépatite C et le virus du Nil occidental. »

Jean-François Masson, chercheur de l’Université de Montréal qui travaille activement au développement d’un test sérologique pour le nouveau coronavirus, pense que cette technologie sera utile au Québec pour déterminer plus précisément quelle fraction de la population a déjà été contaminée.

Elle devrait aussi servir, dit-il, à tester le personnel médical en vue d’identifier des personnes immunisées pouvant être déployées en première ligne sans risque.

Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) pense que les tests sérologiques ont « beaucoup de potentiel » et devraient être rendus disponibles de concert avec les tests de dépistage du virus lui-même.

C’est sûr que c’est intéressant si ça permet de protéger le monde qui travaille et de réduire la propagation.

Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN)

Il est probable que des citoyens ordinaires demanderont de pouvoir réaliser les tests sérologiques pour être fixés sur leur situation et déterminer, par exemple, s’ils peuvent en théorie visiter leur grand-mère sans la mettre à risque, relève Benoît Mâsse, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

En attendant le développement d’un vaccin, le gouvernement pourrait être tenté d’accorder rapidement une plus grande latitude de mouvement aux personnes immunisées s’il estime que cela permet de relancer certaines activités sans soulever de risques sanitaires, relève M. Mâsse.

Les élus doivent veiller, le cas échéant, à limiter la portée de leurs décisions pour faire en sorte que la discrimination envers les personnes toujours confinées soit minimisée et dure le moins longtemps possible, prévient Mme Ravitsky.

La chercheuse s’inquiète notamment de la possibilité de voir des pays exiger des voyageurs des preuves d’immunité lorsque les frontières vont rouvrir.

« La capacité de voyager dans nos vies modernes est cruciale […] Les personnes qui seront d’abord autorisées à le faire vont être vraiment avantagées », dit-elle.