(Rouyn-Noranda) Tout juste avant d’entrer dans la réserve faunique La Vérendrye par le sud, on aperçoit un immense panneau lumineux qui indique aux automobilistes qu’ils sont dans « une région de COVID-19 ».

On se demande où on était avant cela.

Un peu plus loin, on tombe sur un premier point de contrôle. Les policiers de la Sûreté du Québec (SQ) sont sympathiques. On échange un peu. Ils ne sont pas certains que les médias font partie des services essentiels. On vérifie. « C’est beau ! Soyez prudent ! », me dit un agent.

J’ai l’impression de pénétrer dans une zone sinistrée.

Près de 200 kilomètres plus loin, on doit s’arrêter à un autre point de contrôle. Et puis, après Val-d’Or et Malartic, un troisième. On dirait qu’on veut nous dire : « Êtes-vous sûr que vous voulez aller là ? »

« Là », c’est Rouyn-Noranda qui, depuis samedi dernier, fait partie des villes québécoises autour desquelles on a érigé des remparts, ces villes qui, pour se protéger, restreignent les allées et venues sur leur territoire.

La région de l’Abitibi-Témiscamingue compte une centaine de cas de COVID-19, dont deux morts. La grande majorité des cas d’infection proviennent de la « capitale nationale du cuivre ». Une centaine de cas, ce n’est pas beaucoup, diront certains. Mais les choses sont allées très vite ces derniers jours. La mairesse, Diane Dallaire, s’est tournée vers Horacio Arruda et a demandé le droit de pouvoir contrôler les accès à sa municipalité de 41 000 habitants.

PHOTO MARIO GIRARD, LA PRESSE

Rouyn-Noranda est une ville morte en ce moment. La grande majorité des gens restent cloîtrés dans leur maison, écrit notre chroniqueur.

C’est sûr que ça fait râler. Des résidants de Cadillac, un quartier situé à 50 kilomètres de Rouyn-Noranda, ont tapé du pied quand ils ont réalisé qu’ils ne pouvaient sortir de la ville pour aller faire leur épicerie à Preissac, Malartic ou Val-d’Or, beaucoup plus proches d’eux.

La mairesse a proposé un service de livraison. Mais ce n’est pas ce que les gens veulent. Les gens veulent continuer de pouvoir vivre normalement. Ils veulent avoir l’impression que tout est comme avant.

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Rouyn-Noranda est une ville morte en ce moment. La grande majorité des gens restent cloîtrés dans leur maison. Mais comme partout ailleurs, on trouve des indisciplinés. « Si vous saviez comme les gens se foutent des règles ici, m’a dit Tommy, l’employé d’une épicerie. Ils se parlent à six pouces du visage. Il y a des clients qui viennent ici trois fois dans une même journée. »

Croisé chez Tim Hortons, Fernard Harvey, 70 ans, ne voit pas les choses de la même façon. « Je trouve que les gens font preuve d’une belle résilience. Il faut demeurer philosophe. »

Cyrille Auchapt, un Français de 33 ans qui a adopté l’Abitibi il y a trois ans pour venir travailler auprès des personnes autistes, refuse de se laisser abattre. « J’adore ma vie ici. Les citoyens font bien les choses en ce moment. C’est encourageant. »

PHOTO MARIO GIRARD, LA PRESSE

Deux résidents de Rouyn-Noranda gardent leurs distances pour discuter.

Dans la rue Principale de Rouyn-Noranda, Bélisle Sports est l’une des très rares boutiques encore ouvertes. La raison est fort simple. « Les enfants ne réalisent pas ce qui se passe en ce moment, c’est le printemps et ils veulent un vélo, m’a dit Éric Villeneuve, l’un des associés. Un père en a acheté un pour son garçon la semaine dernière. Ma blonde les a vus en train de rouler. Ils avaient l’air tellement heureux. »

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Un sujet est sur toutes les lèvres à Rouyn-Noranda : l’histoire de cette éclosion de plusieurs cas de COVID-19 à la résidence pour retraités Bleu Horizon. Et puis, il y a cette vague de cas liés à des funérailles qui ont eu lieu le 13 mars dans l’une des succursales de la Résidence funéraire de l’Abitibi-Témiscamingue.

L’un des résidants de Bleu Horizon, Guy Charbonneau, est mort le 27 mars dernier des suites de la COVID-19. L’homme qui avait 82 ans a longtemps été célébrant pour l’un des salons funéraires du groupe. Il n’en fallait pas plus pour mettre en marche la machine à rumeurs. Et à spéculations. Plusieurs citoyens rencontrés dans la rue m’ont parlé de ces évènements. Chacun avait sa version.

Patrick Blais, directeur général de la Résidence funéraire de l’Abitibi-Témiscamingue, est formel. « M. Charbonneau ne travaillait plus pour nous depuis plusieurs mois. » La fille de Guy Charbonneau, Suzelle, abonde dans le même sens. « Mon père n’était pas à ce rassemblement. On ne sait pas comment il a pu contracter le virus. » La femme de Guy Charbonneau, qui a aussi été touchée par la COVID-19, se rétablit doucement.

« Vous savez, les gens sont très nerveux en ce moment, ajoute Patrick Blais. Ils veulent trouver des explications à tout. Il faut regarder les choses calmement et prendre le temps de démêler tout cela. »

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La réserve faunique La Vérendrye est immense. Et le décor est lassant. Mon père, qui était un « vrai gars du Nord », disait : « De l’épinette, d’la crisse d’épinette ! »

Quand on est seul dans la voiture, on doit trouver des façons de tuer le temps. Tiens ! Calculons le nombre de véhicules que nous allons croiser. Sur les 200 kilomètres du parc, j’en ai compté 47. Le néant.

Il y a aussi les graffitis d’amoureux tracés sur les rochers qui peuvent divertir. Caro aime Kevin… Jean-Louis aime Francine… Robert aime Jeanne…

Je me suis demandé combien, parmi ces couples, allaient survivre au confinement.

Sacrée ironie !

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Chemin faisant, je me suis arrêté à Grand-Remous, une petite municipalité de la Vallée-de-la-Gatineau. Jean-Claude Doré, 81 ans, Marcel Dumais, 76 ans, et Serge Gauvreau, 61 ans, étaient en grande conversation.

« Ouain, on dirait bien que la distance de deux mètres est plus courte par chez vous », leur ai-je balancé en guise d’introduction.

« Toi, viens pas nous achaler avec ces niaiseries-là, m’a répondu Jean-Claude Doré. Mes amis sont venus m’aider à nettoyer mon terrain. Pis lui, il faut pas y parler, c’est un mal engueulé », a-t-il ajouté en me montrant Marcel Dumais.

J’ai senti que je n’allais pas m’ennuyer.

Sur le terrain de M. Doré, il y a les vestiges de ce qui fut autrefois un restaurant. Et puis, il y a un autre bâtiment. « J’avais entrepris de le démolir et de vendre le bois, mais la mairesse m’a dit qu’il fallait que j’arrête ça, m’a-t-il dit, visiblement ulcéré. Elle a dû se cogner la tête quelque part, celle-là, car elle ne connaît rien à rien. De quoi elle se mêle ? »

Je demande aux trois comparses si la COVID-19 est une source de stress pour eux. 

Pantoute ! Ils sont en train de devenir fous avec ça. Moi, je dis, on n’a qu’une vie et on n’a qu’une mort. Qu’elle arrive maintenant ou dans dix ans, il faut qu’elle arrive. Bon, il faut qu’on travaille, nous autres.

Jean-Claude Doré

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Dans le stationnement du Super C de Rouyn-Noranda, coin Gamble et 15e Avenue, j’ai vu un jeune couple s’embrasser goulûment dans une voiture.

J’ai fait le saut !

Après quelques semaines de confinement, on réalise que le baiser est devenu invisible.

NOTE : Avant que vous me posiez la question, je me suis rendu à Rouyn-Noranda en prenant mille et une précautions. J’ai voyagé seul. J’ai mangé dans ma chambre ou dans ma voiture. Je n’ai toutefois pas « couché dans mon char » comme Richard Desjardins, cet emblème abitibien. J’ai dormi dans un hôtel qui a une excellente réputation (j’ai quand même joué à Monsieur Blancheville en y débarquant avec mon alcool à friction et mon Hertel). Finalement, j’ai fait mes entrevues en respectant toujours une très bonne distance.