« Ma nourriture était prête pour 10 000 personnes. J’ai 23 000 boulettes de ragoût, 2000 tourtières, 900 tartes au sucre, 3600 repas de jambon… Il va falloir que j’en livre, des boulettes, pour arriver à écouler tout cela. »

Julie Blouin, propriétaire de La Sucrerie Blouin, à l’île d’Orléans, a ajouté un slogan à son site internet : « N’allons pas à la cabane, puisque la cabane vient à nous ! »

Comme de nombreux autres propriétaires de cabane à sucre, Mme Blouin a congelé beaucoup de ses produits — les tourtières et les tartes au sucre, notamment — et se tourne vers les livraisons pour vendre tout ce qu’elle peut. « Les cornets de sucre, la tire et le beurre sont mes plus gros vendeurs. »

Elle prépare aussi des paquets de « mets canadiens » que des clients peuvent venir chercher.

Mais bien sûr, les livraisons et le comptoir de vente ne seront pas une panacée. De 21 employés, la Sucrerie Blouin a dû passer à 5.

Normalement, le temps des sucres battrait son plein. « La grosse saison court du 15 mars au 15 avril. Cette année, tout s’est arrêté le 14 mars », rappelle Michael Constantin, copropriétaire de la cabane à sucre familiale Constantin, à Saint-Eustache.

Là aussi, on s’est tourné vers la livraison à domicile, ce que Constantin ne faisait pas avant la crise. « Les personnes âgées sont particulièrement contentes qu’on ait lancé cela. Il y aura au moins un peu de bon qui sortira de cette crise. »

Mais là non plus, les 60 à 80 livraisons par semaine et la centaine de clients quotidiens à la boutique du terroir (qui peut rester ouverte) ne remplacent pas les cabanes à sucre habituellement bien pleines des samedis et des dimanches d’avril.

La cabane à sucre Constantin a d’ordinaire 260 employés. Elle n’a pu en garder que 40.

Et déjà, les épiceries passent à un autre appel, se désole M. Constantin. « On a la chance d’avoir des kiosques dans une quinzaine de grosses épiceries, mais deux d’entre elles les ont déjà démantelés. Elles disent qu’elles sont rendues à la saison du barbecue. »

Les congélateurs de Constantin sont donc remplis de préparations à crêpe, de mélanges à omelette et de saucisses, entre autres. « Heureusement, notre fournisseur de jambon a repris son stock, il est capable de le vendre ailleurs. »

Le Domaine Labranche, de son côté, a donné 100 repas du temps des sucres à l’organisme Moisson Rive-Sud.

Frédéric Vincent, propriétaire de l’Érablière aux petits plaisirs, à Warwick, espère fort réussir à faire au moins la moitié de son chiffre d’affaires avec la vente en ligne et son service de livraison, gratuit dans un rayon de 20 km. « On n’est pas une grosse cabane, on sert environ 5000 repas par saison, on va peut-être y arriver », dit-il.

Les sucres reportés en août ?

Pourrait-on aller aux sucres en août ? À l’automne ? « L’idée est lancée ici et là, mais ce serait loin d’être évident », dit Hélène Normandin, porte-parole des Producteurs et productrices acéricoles du Québec. « Il faudrait beaucoup de publicité pour convaincre les gens. La tradition, c’est d’aller à la cabane à sucre au printemps, pas quand les feuilles tombent. »

Le regroupement de producteurs, qui compte 7400 cabanes à sucre, dont 200 cabanes commerciales qui ont un service de restauration, a mis en place un comité pour tenter d’évaluer les pertes de l’industrie afin de pouvoir ensuite faire des représentations auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation.

À tout le moins, le 24 mars, les producteurs ont obtenu d’être reconnus comme faisant partie des services essentiels et ont pu continuer à faire leur sirop.

En Montérégie, la production est presque terminée, alors que ça commence à Québec.

A priori, d’un strict point de vue de la production de sirop, ça devrait être une année dans la moyenne, selon Mme Normandin.

La productrice Julie Blouin, de l’île d’Orléans, trouve, elle, que ses arbres sont moins généreux que d’habitude à ce temps-ci de l’année, « comme si mes érables étaient un petit peu déprimés ».