La dernière fois que j’ai écrit une chronique qui ne traitait pas du coronavirus, c’était le 10 mars, jour du dépôt du budget du gouvernement caquiste de François Legault. Titre de la chronique : « Le début d’un temps nouveau ».

Je ne croyais pas si bien dire…

Pourtant, j’étais complètement dans le champ.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Des bénévoles portant des masques distribuent des denrées alimentaires à Verdun.

On vivait encore dans une autre réalité, un monde pré-coronavirus. Le Québec nageait dans l’argent. L’économie tournait à plein régime. La pièce de résistance du budget provincial était un « plan d’économie verte » de 6,7 milliards.

« Pour faire du Québec une véritable province verte, le gouvernement devra inévitablement bousculer le mode de vie des gens. Et faire preuve d’un immense courage politique », avais-je donc écrit il y a un mois, il y a un siècle, il y a une éternité, comme aurait chanté ce bon vieux Joe Dassin.

La terrible ironie, dans tout cela, c’est que la pandémie permettra peut-être au Québec d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2020.

Pendant que les Québécois — et une bonne partie de l’humanité — sont confinés à la maison, que leurs voitures restent au garage, que les avions sont cloués au sol et que les usines tournent au ralenti, la planète reprend son souffle.

Mais comment s’en réjouir ? Dans ce répit, il y a des milliers, des millions de tragédies humaines. Des morts, des pertes d’emplois, des vies chamboulées, des opérations reportées, des malades condamnés à mourir seuls, des aînés séparés de leurs proches…

On n’a pas fini de compter les victimes de cette crise. Alors, on peut constater que la récession dans laquelle le Québec plonge tête première aura un effet positif sur l’environnement. On peut. Mais s’en féliciter serait indécent, dans les circonstances.

Pour tout dire, à peu près tout semble futile, dans les circonstances.

Était-ce bien à l’automne que nous avons eu un débat enfiévré sur le report de l’Halloween d’une toute petite journée ?

Nous sommes-nous vraiment entredéchirés au sujet du coton ouaté de Catherine Dorion ?

Et que dire de l’infâme cocothon de Laval ?

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Dans son numéro de mars, L’actualité titrait à la une : « Prêts pour la décroissance ? »

Bien sûr, le magazine ne pouvait pas se douter qu’une pandémie transformerait cette manchette en sombre prophétie. Il posait par ailleurs des questions importantes. Notre mode de vie repose sur une croissance perpétuelle. Or, les ressources de la planète ne sont pas illimitées. Faut-il revoir nos façons de faire, nos façons de vivre, quitte à freiner l’économie de la province ?

Aujourd’hui, c’est malheureusement bien involontaire si tout le Québec est en pause. Un satané virus lui a fait fléchir les genoux. Personne n’a choisi ce qui lui arrive.

Il est sans doute trop tôt pour présumer que le Québec ne sera plus jamais le même. Mais déjà, il a changé. Il tirera assurément des leçons importantes de la crise.

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Première leçon : on l’avait un peu oublié, mais il existe une autre logique que celle du marché. Une autre religion que le profit à tout prix. Jamais plus le Québec ne doit se retrouver à la merci de fournisseurs étrangers pour s’approvisionner en équipements médicaux. Même si ça doit coûter plus cher.

« S’il y a une leçon qu’on tire de la crise actuelle, c’est qu’on devrait être autonomes pour les biens qui sont essentiels », a insisté François Legault, vendredi.

On saura un jour à quel point les gouvernements du monde ont bataillé pour mettre la main sur de précieux masques. On sait déjà que les Américains ont poussé la surenchère jusque sur le tarmac des aéroports de Chine, où ils n’ont pas hésité à piquer des cargaisons destinées à d’autres nations.

En ces temps désespérés, les masques, c’est chacun pour sa gueule. Si on s’enfonce davantage dans la crise, il y a fort à parier que les mêmes batailles de chats de ruelle se répètent pour des médicaments, pour des équipements médicaux, pour des fruits et légumes.

On l’évoque depuis longtemps, mais on ne le réalise vraiment qu’aujourd’hui : la délocalisation des chaînes d’approvisionnement, au nom du sacro-saint profit, a placé le Québec dans une position inconfortable, potentiellement catastrophique.

François Legault parle déjà de « démondialisation ».

Dimanche, son gouvernement a lancé Le Panier Bleu, un site web où les commerces québécois annonceront désormais leurs produits. Si chaque foyer dépense 5 $ de plus par semaine, cela injectera 1 milliard dans l’économie québécoise.

« Il y a une manière d’aider nos entreprises maintenant. C’est d’acheter local, a dit le premier ministre. C’est le temps de changer nos habitudes d’achat. »

Si le discours sur l’importance de l’achat local est familier, jamais n’avait-il été aussi pressant. 

Jamais ne l’avions-nous entendu sortir de la bouche d’un premier ministre, comme une imploration, lors d’un point de presse transformé en messe quotidienne pour des millions de Québécois.

La prière de François Legault a été entendue – au point de paralyser le site du Panier Bleu pendant une partie de l’après-midi, dimanche.

Mais cet élan solidaire durera-t-il ? Passé la crise, les gens auront-ils toujours la volonté de payer le juste prix pour des biens fabriqués au Québec ? En auront-ils seulement les moyens ?

Les temps seront durs. Pour que le Québec se « démondialise », le gouvernement devra maintenir les entrepreneurs locaux à flot. Ça aura inévitablement un impact sur les finances publiques.

Mais l’heure n’est pas à ces considérations comptables.

Il y a encore des vies à sauver.

On aura bien le temps de débattre dette et déficits quand cette pandémie sera derrière nous. 

Parce qu’un jour, sûrement, j’aurai enfin de quoi écrire une chronique sur autre chose que le coronavirus.

Un jour, j’en ai bien peur, on recommencera à se chicaner sur des cocothons et des cotons ouatés.