Il y a maintenant trois semaines que les écoles de la province ont fermé leurs portes en catastrophe. Tandis que la perspective d’un retour en classe d’ici la fin de l’année scolaire s’amincit de jour en jour, la distance entre le réseau public et le réseau privé semble, au contraire, croître.

Jacynthe Sirois est à même de constater les disparités dans le milieu scolaire. Son fils fréquente une école secondaire privée et sa fille, une école secondaire publique. « Mon fils a environ une à deux heures de travail par jour et ça a commencé dès le début [du confinement]. On leur a dit : allez sur le portail, vous allez voir des travaux à faire. Ça a commencé par quelques enseignants, mais là, ça s’organise », dit-elle.

Pendant deux semaines, c’était le « silence total » de la part de l’école de sa fille, qui est en voie de terminer sa cinquième secondaire.

Ça commence timidement, certains enseignants disent “allez faire tel ou tel exercice”. Une enseignante a dit : “Je ne vous donnerai pas de travaux, je sais que plusieurs sont déçus, mais je vous encourage à aller jouer dehors”.

Jacynthe Sirois, dont la fille fréquente une école publique

Mme Sirois note que le message des enseignants du public semble surtout centré sur des « émotions, du stress vécu ».

Elle-même enseignante au cégep et mère de deux jeunes qui fréquentent une école privée et une école publique, Julie Parent constate aussi qu’il y a un « fossé » entre les deux. Sa fille a reçu un horaire de son collège et doit se présenter en ligne à des heures bien précises pour suivre des cours. Son fils ? Il n’a rien reçu. « Je ne vois pas de cohérence entre les deux réseaux », dit-elle.

Jacynthe Sirois ne comprend pas que le ministre de l’Éducation n’ait pas encore envoyé de directive claire aux enseignants du réseau public pour qu’ils donnent des travaux à faire, « sans surcharger les élèves ».

« Les enseignants sont à la maison, ils sont encore payés, ils n’ont pas été mis à pied. Je pense qu’il y en a plein qui veulent le faire », dit-elle.

Des listes d’activités dès ce lundi

Dans un communiqué diffusé la semaine dernière, la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) a justement écrit que les « profs veulent faire leur part » et a estimé que les deux dernières semaines « ont été un temps d’arrêt pour organiser la suite des choses ».

« Le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a réuni régulièrement les différents acteurs de notre système d’éducation, notamment les syndicats ainsi que les directions d’établissement et de centre de services scolaire pour développer des façons de faire réalisables en cette période de crise. Nous participons activement à toutes ces rencontres », écrit la présidente de la FSE, Josée Scalabrini.

Dans le réseau public, les élèves de la province doivent recevoir à partir de lundi un « menu d’activités pédagogiques » qui sera adapté à leur niveau et qui pourra – ou non – être personnalisé par les enseignants.

Pendant ce temps, dans le réseau privé, la « quasi-totalité » des écoles s’est déjà mise à l’enseignement à distance, affirme le président de la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP).

Certaines écoles avaient déjà des modèles d’apprentissage à distance, mais la « grande majorité » a dû les créer de toutes pièces, explique David Bowles. Le taux de participation des élèves varie selon les écoles, mais la FEEP estime qu’il oscille entre 50 % et 95 %.

Il est vrai que les parents de ces élèves paient des droits de scolarité et que certains commencent à remettre en question leur paiement dans un contexte où l’enseignement en personne n’existe plus.

« On est très conscients que nos parents [...] font des sacrifices financiers pour envoyer leurs enfants dans nos écoles, donc s’attendent à recevoir des services. C’est certain que ça fait partie de nos motivations d’offrir des services à distance de qualité », dit David Bowles.

« On a pris les moyens du bord »

La COVID-19 est vite devenue une réalité au Collège Jean de la Mennais, qui accueille plus de 1600 élèves à La Prairie. Beaucoup d’élèves sont d’origine asiatique et avaient des « rapports quotidiens » de ce qui se passait en Chine cet hiver. « Ces familles-là nous appelaient et étaient très inquiètes. Elles avaient raison. C’était difficile de les croire, mais je dois avouer qu’elles avaient raison », raconte Richard Myre, directeur général de l’établissement.

La relâche est arrivée, et au retour en classe, des élèves qui revenaient d’Italie ont commencé à présenter des symptômes du coronavirus. Des journées pédagogiques ont été ajoutées au calendrier scolaire pour permettre au collège de voir comment l’enseignement pourrait être en partie donné à distance.

Nous n’avons pas d’historique ou de grandes connaissances là-dedans. On est une bonne école, mais nous ne sommes pas avant-gardistes sur le plan des technologies. Nous sommes l’ours moyen.

Richard Myre, directeur général du Collège Jean de la Mennais

M. Myre dit en outre avoir pris « les moyens du bord ». « On se débrouille très bien », ajoute-t-il.

Il croit que le réseau public gagnerait lui aussi à décréter quelques journées pédagogiques pour permettre au personnel de se pencher (à distance !) sur un certain nombre de questions, notamment sur l’enseignement à distance et la manière dont il faudra « récupérer cette situation-là » quand l’école reprendra.

« Les gens sont payés, je pense que c’est correct de leur demander une prestation raisonnable, comme dans n’importe quel secteur. Je pense que c’est raisonnable pour les enseignants, s’ils travaillent collectivement, de préparer certains apprentissages en ligne quand la technologie le permet. J’ai des réactions épidermiques quand j’entends des gens dire “on n’a pas les moyens de le faire”. On a le temps pour se former. Les journées pédagogiques seraient un moyen pour prendre le temps », dit Richard Myre.

Chose certaine, des parents d’élèves commencent à contempler le temps qui passe avec appréhension. « Est-ce que c’est réaliste d’espérer que les enseignants pourraient donner leur cours via vidéoconférence, exemple 2 fois par jour, 30 minutes à la fois, pour les plus jeunes et plus long pour les plus vieux ? » a récemment demandé un père à une commission scolaire de la métropole sur Twitter.

« Les directives viennent du gouvernement », a écrit la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, renvoyant le père au site École ouverte mis en place par le ministère de l’Éducation.

Pas le temps de prendre congé

Le réseau public peut lui aussi compter sur des enseignants motivés. Si certains préfèrent attendre les documents envoyés par le ministère de l’Éducation avant d’agir, d’autres ont pris le taureau par les cornes dès l’arrêt des classes.

Pour les élèves de 5e année de la classe de Pierre-Paul Rouleau, par exemple, la pandémie n’aura pas été l’occasion de profiter de journées de congé imprévues. Ils ont encore rendez-vous avec leur enseignant du lundi au vendredi.

Le matériel scolaire était resté à l’école ? Pas de problème ! Pierre-Paul Rouleau avait déjà un site internet consacré à sa classe de l’école primaire Entramis de Repentigny. Il y a ajouté une section, la bien nommée « Rattrapage – COVID-19 ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Les élèves de 5e année de la classe de Pierre-Paul Rouleau ont encore rendez-vous avec leur enseignant du lundi au vendredi par le truchement d’une plateforme en ligne.

Puis, il a sondé les parents pour savoir s’ils voulaient que leurs enfants continuent l’école. « Immédiatement, j’ai eu des réponses de parents qui me disaient qu’ils le souhaitaient, qu’ils étaient motivés », dit Pierre-Paul Rouleau.

Plutôt que de donner des exercices à faire sur une base hebdomadaire (« c’est un peu flou pour un parent qui travaille en même temps »), il donne des travaux au quotidien, assortis d’un corrigé.

« La routine est installée. Dans la journée, les parents prennent le temps qu’ils veulent pour faire les travaux avec leurs enfants », dit Pierre-Paul Rouleau, qui a lui-même ses enfants à la maison.

Le soir venu, les enfants ont rendez-vous avec l’enseignant par l’entremise d’une plateforme de conférences en ligne. À 17 h 30 bien précises, il revient sur l’exercice qu’ils ont eu à faire dans la journée, puis répond aux questions. Et chaque soir, ils sont au moins une quinzaine d’élèves sur les 25 de sa classe à y être, incluant des élèves en difficulté. « C’est selon leurs disponibilités. Chaque famille a sa réalité », dit Pierre-Paul Rouleau.

Apprentissage partagé

Comme ses élèves, il apprend une nouvelle façon de faire. « Les premières journées, je les sécurisais, ils se demandaient s’ils passeraient leur année vu qu’ils ne feraient pas les examens du Ministère. Je leur ai fait comprendre qu’on était là pour s’amuser. J’ai enlevé le stress et j’ai établi une routine », dit-il.

Les premières rencontres n’ont pas été faciles. Au début, tous les élèves ont allumé leur caméra et leur micro en même temps, la cacophonie s’est installée. Ils ne se voient plus et l’enseignant répond aux questions une à la fois.

Maintenant, ça roule. Une journée, les 25 élèves se sont présentés. Et quand Pierre-Paul Rouleau est arrivé quelques minutes en retard une autre fois, il a eu des remontrances. « T’étais où ? », lui ont demandé ses élèves. Il rit. « Ils me disent merci aussi quand on raccroche. Je suis payé, mais c’est aussi ça, ma paye », dit l’enseignant.

Pierre-Paul Rouleau insiste : il ne dit pas que tous les enseignants doivent faire comme lui. « Je ne suis pas là pour juger personne. Mais j’avais peur de devoir aller rechercher mes élèves après trois semaines d’arrêt, d’être en rattrapage. Je voulais garder le lien avec eux. Je pensais aussi à mes collègues de 6e année qui vont avoir ces élèves-là l’an prochain. En fait, j’avais 1001 raisons de le faire », conclut-il.