Bien des enfants se retrouvent contre leur gré, depuis le début de la pandémie, au cœur de féroces batailles concernant les droits de garde et de visite. Le scénario est toujours le même : un parent inquiet empêche l’autre parent de voir leur enfant en raison de la COVID-19. Or, les mesures de confinement ne doivent pas servir de prétexte pour priver les enfants de leur père ou de leur mère, martèlent les tribunaux.

« En ces temps difficiles, les enfants ont besoin de l’amour, de la supervision et du soutien émotionnel de leurs parents. Maintenant plus que jamais », résume la Cour supérieure de l’Ontario, dans une décision qui a fait jurisprudence la semaine dernière.

La Presse a consulté une dizaine de décisions de tribunaux canadiens en matière de garde d’enfants en lien avec la COVID-19. Les juges sont unanimes : les droits de garde et de visite doivent être maintenus malgré la crise, aussi longtemps que les parents respectent scrupuleusement les règles d’hygiène de base. L’intérêt supérieur de l’enfant est au cœur de leurs décisions.

Pas question donc pour un parent de remplacer unilatéralement les droits d’accès de son ex par des rencontres vidéo sur les applications Skype ou FaceTime. Au Québec, un père qui a imposé de telles restrictions à la mère de leurs trois jeunes enfants a été rabroué par les tribunaux. Le père réclamait la suspension des droits d’accès de deux fins de semaine sur trois de la mère.

« Malgré que cela puisse paraître paradoxal, la présence de la COVID-19, considérée comme une urgence sanitaire, n’est pas en soi, en l’absence de symptômes pour les individus concernés, un motif suffisant nécessitant une modification du statu quo, de la garde et des accès pour les enfants », a tranché la juge Johanne April, de la Cour supérieure du Québec, le 27 mars dernier.

En Ontario, une mère qui a la garde principale d’un enfant de 9 ans s’est adressée d’urgence à la cour pour suspendre tous les droits d’accès du père. La mère refusait que leur fils quitte la maison « peu importe la raison » et s’inquiétait que le père ne respecte pas les mesures de distanciation sociale.

Intérêt de l’enfant

Oui, il doit y avoir « tolérance zéro » pour les parents qui exposent leurs enfants à un risque de contracter la COVID-19. Mais la pandémie en soi n’entraîne pas « automatiquement » la suspension des droits d’accès, rappelle le juge Alex Pazaratz. Et ce non-respect des règles d’un des parents doit être démontré.

« C’est une période extrêmement difficile et stressante pour tous. Personne ne sait combien de temps va durer la crise. Mais les vies des enfants ne peuvent pas être mises “sur pause” indéfiniment sans qu’on risque de leur causer de sérieux troubles émotionnels », soutient le juge.

Une interdiction totale de sortie pour les enfants – même pour visiter l’autre parent – est en contradiction avec l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le juge Alex Pazaratz

La routine des enfants devrait « seulement être modifiée s’il y a des preuves que leur santé et leur sécurité sont en péril », estime un autre juge. « Les enfants […] ont besoin de stabilité, de confort et de prédictibilité dans leur routine », ajoute ce juge de la Cour supérieure de l’Ontario qui met également l’accent sur l’intérêt supérieur des enfants en ces « temps difficiles ».

« L’incertitude peut causer des ravages dans la vie des enfants les plus vulnérables, lorsque les [parents] sont incapables de résoudre leurs conflits », rappelle le magistrat, qui a refusé à une mère de mettre fin aux droits d’accès du père.

« Gros bon sens »

Un juge ontarien a toutefois rejeté la demande d’injonction urgente d’un père qui voulait qu’un policier s’assure du respect de ses droits de garde. En raison de la pandémie, Madame suggérait au père de voir les enfants par FaceTime ou de marcher avec eux à deux mètres de distance.

Il faut éviter de faire appel aux policiers pour ne pas causer un « stress considérable » aux enfants, a estimé le juge. Néanmoins, il a ordonné aux parents de s’entendre dans le cadre de leur droit de garde actuel. « Il n’y a aucune présomption selon laquelle la COVID-19 permet à un parent qui a la garde principale de mettre fin à la garde de l’autre parent », rappelle le juge.

Selon le ministère de la Justice du Québec, les ordonnances de garde, les droits d’accès ou les ententes entre parents doivent être respectés « autant que possible ». Le Ministère demande aux parents d’appliquer « le gros bon sens » et de respecter les consignes de santé publique.

Si un des parents est déclaré positif à la COVID-19 ou qu’un membre de l’entourage de la famille a été déclaré positif, le Ministère recommande de ne pas déplacer l’enfant à un autre domicile pendant une période de quarantaine de 14 jours pour éviter la propagation du virus.

> Consultez le site du ministère de la Justice