On est chacun dans sa maison. Confinement forcé. On est chacun dans sa maison, mais nos maisons continuent de se toucher. Nos terrains, de se rejoindre. Nos adresses, de s’additionner. Nos rues, de se croiser. On est chacun dans sa maison, mais on n’a jamais autant fait partie de la communauté.

Le vivre-ensemble dont on se moquait tant, on vient de le pogner. Il était temps. Il n’y a que lui qui puisse nous sauver.

Nous vivons ensemble. Tous ensemble. On l’avait oublié. Pourtant, on habite le même espace. On respire le même air. On boit la même eau. On se conjugue au même temps. Il a fallu un terrible virus pour que ça nous saute à la figure. Nous sommes interdépendants. Que ça nous plaise ou non. Nous devons faire attention les uns aux autres. Pas juste par altruisme. Par égoïsme aussi. Il en va de notre vie. Ce que l’autre a, on peut l’avoir aussi. Ce que l’autre n’a plus, on peut le perdre aussi.

La distanciation sociale, on la pratique depuis longtemps. Pas physiquement. Mais dans nos pensées. On vit dans notre bulle. En croyant que seuls notre famille et nos amis ont une importance déterminante dans notre existence. 

Les autres, c’est les gens. Les autres, c’est les badauds que l’on croise sans les voir, dans le métro, dans la rue, au bureau. Maintenant qu’on ne les voit vraiment plus, on s’aperçoit que l’univers est vide sans eux. Vide à faire peur. On a besoin d’eux. Et on remercie la caissière toujours à l’épicerie et l’employé toujours à la pharmacie. Dans le film de notre vie, c’étaient des figurants. Maintenant, ce sont des rôles essentiels.

On est chacun dans sa maison. Pour se protéger les uns les autres. Mais la maison n’a jamais été aussi pleine d’humanité. On ne s’est jamais aussi bien reçus qu’à distance. Bien compris, aussi. On partage la même angoisse. On s’accroche au même espoir. On n’a jamais autant fait partie du même bout du monde.

Nous vivons ensemble. Il faut nous le rappeler. On croyait qu’on vivait seulement avec les contacts de notre téléphone. Dans notre réalité virtuelle. Où chaque relation est sélectionnée. Où chaque échange est noté. Où chaque je t’aime est calculé. Le monde autour de nous n’est pas seulement un décor pour nos égoportraits. On ne serait pas là, sans lui. Le monde autour de nous, il ne faut pas seulement s’en servir. Il faut aussi le servir.

On appelle ça le sens civique. Heureusement pour nous, des gens l’avaient déjà compris. Tous les gens qui travaillent dans les hôpitaux, qui risquent leur vie pour que des inconnus ne perdent pas la leur, mesurent la valeur de chaque être humain. Ce sont des héros. Des vrais. On ne le dira jamais assez. On ne les remerciera jamais assez. 

Le jour où il n’y aura plus de cœurs comme eux, ce sera la fin. Qu’il reste des respirateurs ou pas. La fin de tout. La fin de nous. C’est à leur dévouement que l’on doit notre existence. Faisons en sorte qu’elle vaille leur sacrifice. Soyons valeureux. Au moins le dixième d’eux.

On est chacun dans sa maison, depuis quelques jours, et on trouve ça difficile. Pourtant il y en a pour qui c’est le quotidien. L’isolement pas du tout volontaire est une lente agonie. Que cette expérience nous rapproche des laissés-pour-compte. Et promettons-nous de mieux nous en occuper. Pas demain. Tout de suite.

Avant, on était tout seuls ensemble, comme le chantait Bélanger. Maintenant, on est tous ensemble seuls. Quand la solitude est partagée, ce n’est plus de la solitude, c’est de la solidarité. Le jour où ça va bien aller, on aura de quoi fêter.

On est chacun dans sa maison. Mais on n’a jamais vécu autant ensemble. Jamais organisé autant nos vies en fonction d’autrui. On se partage les tâches. Comme une famille. Comme des colocs. Chacun doit fournir sa part d’efforts pour sortir de cette crise.

On est chacun dans notre maison et on a enfin compris que notre voisine, c’est la Chine. On pensait que c’était très, très loin. Que ce qui se passait en Chine restait en Chine. On ne s’en faisait pas trop quand l’épidémie était là-bas. On aurait dû. La Terre n’est pas un grand village. On s’est trompé. La Terre est une rue. Et nous vivons dans cette rue. Quand la musique est forte à côté, on l’entend. Quand la douleur est forte, on devrait l’entendre aussi.

Notre incapacité à être sensibles au sort de notre voisin, nous en payons le prix. Il fallait nous alerter avant. Nous avons attendu que ça arrive chez nous. Comme si ça pouvait passer à côté. Quand nous comprendrons que la Chine, c’est aussi chez nous, nous serons plus réactifs. Mais c’est beaucoup nous demander. Nous commençons à peine à comprendre combien nous sommes liés au destin de la personne à une goutte de nous. Imaginez nous préoccuper de celle qui est à trois océans.

Je sais que ma chronique aujourd’hui semble vous faire la morale. Détrompez-vous, c’est à moi que je parle. Écrire, c’est se parler tout seul, en espérant que ça puisse servir.

Nous vivons ensemble.

Nous mourons seuls.

Voilà pourquoi il faut tout faire pour rester ensemble.