Avant de partir à la retraite, le capitaine Jean-Marc Bélanger et le premier officier Bruno Dionne ont choisi d’effectuer un dernier vol qui comptait un peu plus que les autres. Tard mercredi soir, ils ont posé à Montréal le dernier avion à rapatrier des Canadiens coincés au Maroc.

Dans le monde de l’aviation, il est extrêmement rare, voire inédit, que deux pilotes terminent leur carrière au terme du même vol, comme ç’a été le cas avec le vol 2003 d’Air Canada, entre Casablanca et Montréal.

Les deux confrères auraient pu choisir de rester à la maison et de s’éviter le risque d’être contaminés. Leur chèque de paie n’en aurait même pas souffert.

« On voulait aller chercher notre monde », explique toutefois M. Dionne, qui a reçu dimanche après-midi l’appel des répartiteurs d’Air Canada lui demandant s’il accepterait de faire ce vol. Ancien pilote pour l’armée, avec laquelle il effectuait des missions de recherche et sauvetage, M. Dionne ajoute qu’il se sentait un peu « prédestiné » pour cette opération.

C’est lui qui a suggéré le nom de son camarade comme partenaire.

« Tant qu’à faire un dernier vol, c’était la bonne chose à faire que ce soit un vol de rapatriement », estime M. Bélanger.

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Ex-pilote pour l’armée, Bruno Dionne se sentait un peu « prédestiné » à ce que son dernier vol en soit un de rapatriement. 

Exigeant

D’emblée, la mission était plus exigeante qu’un vol ordinaire. Alors que les pilotes qui traversent l’océan ont normalement l’occasion de dormir à destination avant le retour, il fallait cette fois effectuer l’aller-retour d’un trait.

Deux pilotes torontois ont pris les commandes de l’avion pour le premier segment, entre Halifax et Casablanca. MM. Bélanger et Dionne, que la nervosité liée à ce dernier vol et à ses circonstances exceptionnelles avait empêchés de dormir à Halifax, ont pu profiter des petites couchettes disponibles au-dessus de la classe affaires des Boeing 777 pour dormir un peu.

Les deux hommes ne s’en plaignent pas. La mission était encore bien pire pour l’équipage, plus exposé aux risques, qui en était en plus à son troisième aller-retour transatlantique d’affilée.

Les choses se sont toutefois un peu compliquées au Maroc, où les procédures d’enregistrement ne fonctionnaient pas rondement. M. Bélanger a même dû accompagner la consule canadienne jusqu’aux postes de sécurité pour convaincre les agents qu’il n’avait pas l’intention de partir sans les passagers qu’ils retenaient.

Entre-temps, il avait fallu accepter que l’avion décolle avec plus de deux heures de retard. M. Bélanger admet avoir été inspiré par la lecture du récit d’un pilote de Transat qui avait lui aussi patienté, en République dominicaine, pour s’assurer de ne pas laisser de siège vide derrière lui.

Le personnel de l’aéroport voulait qu’on parte. Il n’y avait que nous et un autre avion, j’ai l’impression qu’ils voulaient fermer l’aéroport rapidement.

Jean-Marc Bélanger, qui a fait son dernier vol mercredi

Alors que l’avion venait de se détacher de l’aérogare et circulait vers la piste, M. Bélanger a dû faire un dernier choix déchirant. L’un des 457 passagers, diabétique, a connu un malaise important. Il a fallu revenir et le faire débarquer, avec ses bagages qui étaient en soute. Un malaise plus important en vol aurait été impossible à gérer, d’autant plus qu’il aurait été très difficile de trouver un aéroport prêt à accueillir les passagers, a jugé M. Bélanger.

C’est donc avec 456 passagers à son bord que l’appareil a franchi l’Atlantique. Les deux pilotes n’ont pas reçu les égards traditionnellement réservés aux nouveaux retraités lors de leur arrivée à Montréal – certains sont accueillis par des dizaines de collègues pour une réception – , mais ils ont été salués tout au long de leur vol.

« Je pense que les contrôleurs s’étaient passé le mot », note M. Dionne.

Les tours de Gander (Terre-Neuve), Montréal et même Boston ont salué leur passage sur leur territoire sur les ondes radio, ce qui a ensuite incité des pilotes d’autres appareils à faire de même.

Les deux hommes célébraient jeudi leur première journée de retraite bien isolés dans leur maison.

« Je dors dans le sous-sol, dans l’ancien appartement des enfants », précise M. Bélanger.

L’un de ces enfants aura peut-être besoin d’y revenir bientôt, pour les mêmes raisons. Pilote pour Transat, il a accepté de prendre le ciel sous peu pour deux vols de rapatriement au Portugal.